Installé à Leeds, où il travaille comme consultant indépendant, Vivien Badaut accompagne les entreprises avec une forte activité R&D en leur proposant différents services, que ce soit un appui pour la recherche de financements européens, la construction du business plan, la rédaction technique... Côté parcours, ce docteur en chimie nucléaire a su faire appel à son réseau au gré de ses évolutions professionnelles.
Qu’est-ce qui vous a orienté au départ sur une carrière académique ?
Vivien Badaut : « Mon intérêt pour la science remonte à l’enfance : étant jeune, mes parents m’ont emmené visiter de nombreux lieux d’exposition scientifique, comme le Palais de la Découverte et je dévorais les livres de vulgarisation d’Isaac Asimov. C’est sans doute ce qui m’a orienté vers des études scientifiques. Pendant mes études, j’étais plus sensible au travail de paillasse, ce qui m’a poussé à faire un DUT en chimie. Mais j’ai assez vite eu envie d’aller plus loin que la technique, y ajouter une dimension intellectuelle... A l’époque de mon Master en 2005, on parlait beaucoup déjà des questions de transition énergétique et de la part que pouvait y jouer l’énergie nucléaire. Au-delà du côté technique, c’est la combinaison d’enjeux sociétaux forts et d’aspects plus polémiques qui m’ont attiré vers ce secteur. Je me suis alors rapproché de chercheurs au CEA de Saclay pour mes premiers stages de recherche, dans l’idée de me faire une vision plus réaliste de l’industrie nucléaire.
J’ai eu la chance de faire une thèse qui mélangeait à la fois la chimie de paillasse, la chimie théorique et l’expérimentation sur de grands instruments. C’est surprenant mais malgré mon intérêt pour la technique, je suis tombé amoureux de la théorie et en particulier de la modélisation numérique ! Après avoir soutenu ma thèse, nous avions pour projet avec ma femme d’aller au Japon et mon objectif a dès lors été de trouver un post-doctorat où je pourrais poursuivre ce travail de recherche théorique. Je me suis mis en relation avec un chercheur japonais au RIKEN qui a accepté de travailler avec moi, le temps d’obtenir un financement. J’ai ainsi rejoint un laboratoire de physique théorique où j’étais le seul chimiste !»
Le lien entre recherche et consulting ne paraît pas évident, comment cette transition s’est faite pour vous ?
VB : « Plusieurs événements m’ont poussé à m’interroger sur mon futur dans la recherche académique. D’abord, il y a eu Fukushima qui m’a poussé à me questionner sur l’avenir économique de la filière nucléaire. De retour en France en octobre 2012, je me suis aussi demandé si le temps de la recherche académique était réellement fait pour moi : ma personnalité est plutôt de m’accrocher à un sujet pendant quelques mois, puis de passer au sujet suivant. La R&D dans l’industrie était un débouché qui m’attirait également, mais je ne savais pas comment me positionner et valoriser mon parcours académique.
Au cours de la même année au mois de décembre, j’ai participé aux Post-Doctoriales de l’ABG (ndlr : dans la même promotion que François Quemeneur, lire son portrait ici). Cette formation m’a fait prendre conscience de l’importance de la démarche réseau. Ce n’est pas quelque chose de naturel pour moi, mais apprendre qu’il existait des stratégies efficaces pour « réseauter » m’a alors beaucoup parlé. Je l’ai mis en application dans les jours suivants la formation en faisant la liste de toutes les personnes que je connaissais à l’époque. J’ai notamment renoué le contact avec un vieil ami que j’avais un peu perdu de vue et qui venait de lancer un cabinet de conseil en financement pour les start-ups. Il m’a expliqué qu’il manquait d’une expertise technique et j’ai vu là une opportunité de lancer une activité de conseil indépendant. »
En quoi cette opportunité vous a intéressé ?
VB : « Actuellement dans le monde industriel, la plupart des innovations significatives viennent des start-ups et je m’intéresse beaucoup à ce processus : j’avais envie d’en apprendre plus sur comment s’y fabrique l’innovation. On se rend compte qu’il y a généralement un profil d’ingénieur ou d’universitaire parmi les fondateurs de start-ups à fort positionnement technologique. Être consultant technique permet de dialoguer directement avec ces personnes, un peu comme quand on va interroger un scientifique sur ce qu’il fait dans son laboratoire. J’ai commencé comme consultant indépendant en 2013, en auto-entrepreneur. Puis, lors de mon installation en Angleterre, j’ai monté ma propre activité de conseil en créant mon cabinet, DRIAD. »
Comment avez-vous vécu la phase de transition entre recherche académique et le conseil en indépendant ?
VB : « Même si ma transition a été choisie, c’est toujours difficile à titre personnel de quitter le monde de la recherche académique. En tant que chercheur, on est très souvent poussé par l’envie et l’espoir de pouvoir apporter une contribution importante à la société et cela peut donc être vécu comme une frustration de ne plus faire partie de cet univers très particulier. C’est pourquoi il faut vraiment consacrer du temps à préparer un nouveau projet professionnel si celui-ci implique de sortir de la recherche académique.»
Pourquoi avoir fait le choix de vous mettre à votre compte, plutôt que de rejoindre un cabinet de consulting ?
VB : « J’ai fait le choix d’être indépendant surtout pour l’aspect flexibilité : mon activité telle qu’elle est structurée aujourd’hui me permet de travailler de n’importe où sur la planète. Dans les grands cabinets de conseil en financement de l’innovation, lorsqu’on est junior, on passe souvent la plupart de son temps dans les bureaux à rédiger des dossiers. Cela peut occuper jusqu’à 80 % de l’activité du consultant, même si cela évolue avec les responsabilités. Pour ma part, il était impératif de pouvoir être dès le départ au contact des fondateurs et des techniques des entreprises clientes. Aujourd’hui, le rédactionnel occupe plutôt 30 % de mon temps.»
Quels sont les éléments clés dans votre travail de consultant en financement de l’innovation ?
VB : « Toutes les 2 semaines environ j’accepte une nouvelle mission pour une entreprise et les thématiques sont variées : technologie financière, « big data », publicité en ligne, dispositifs médicaux... Apprendre à rédiger les dossiers de demande de financement est bien sûr essentiel, mais il faut garder à l’esprit que le métier du consultant en financement de l’innovation est avant tout social, qu’il fonctionne à la confiance et au relationnel…
Au quotidien, pour ma veille, je me sers beaucoup de LinkedIn et Twitter - les outils de prédilection des start-ups pour partager leurs informations – et aussi d’autres ressources : sites d’actualité, chambres de commerce, organismes de financement... L’espace de co-working où je travaille joue également un rôle important dans mon métier : il accueille différents professionnels du digital et c’est l’endroit idéal pour connaître les dernières rumeurs du secteur, ou mieux en appréhender le contexte socio-économique. Je conseille vraiment cet environnement à tout consultant en innovation qui voudrait se lancer en indépendant.»
Quel est l’aspect le plus épanouissant dans votre travail ?
VB : « Le fait de continuer à apprendre sur chaque nouveau dossier et la possibilité d’interagir avec des entrepreneurs, jeunes et moins jeunes. Je suis quelqu’un qui aime discuter avec les gens, et c’est particulièrement enrichissant dans mon métier : il n’y a pas deux créateurs d’entreprise qui ont la même personnalité.
Après 4 années d’activité, j’ai la chance de pouvoir continuer d’apprendre et d’explorer quasiment quotidiennement de nouvelles thématiques, d’avoir accès à des projets en cours de développement, avant même qu’ils n’impactent la société. C’est fantastique pour un esprit curieux comme le mien.»
Quels atouts présente un doctorat pour le métier de consultant en innovation selon vous ?
VB : « Je pense que le conseil en innovation est un secteur à suivre pour les jeunes docteurs : il y a de plus en plus de start-ups de très haute technologie (énergie, biotech, infrastructures – ce qu’on appelle aujourd’hui les « deep tech ») qui arrivent à maturité et la France est un des pays qui disposent des meilleures ressources pour favoriser leur émergence : diplômés compétents, infrastructures modernes, soutien public, etc. Cela veut dire qu’il y aura un fort besoin d’appui sur la partie technique pour ces entreprises en devenir, mais aussi indirectement pour les cabinets qui les conseillent, notamment dans le financement.
La valeur ajoutée des docteurs pour ce type de besoin est indéniable : compréhension d’une problématique, analyse d’un sujet de façon autonome, capacités rédactionnelles... Pour ma part, en tant que docteur, ma confiance en ma capacité d’apprentissage me permet de répondre à un client à qui je ne peux pas fournir d’éléments pertinents tout de suite : "dans l’immédiat je ne sais pas, mais je reviens vers vous dans une semaine".»