Docteur en chimie de l?université de Leiden
Evelyne Jardin
Quelques bons et mauvais souvenirs du séjour doctoral d’Aude Duquesne aux Pays-Bas, autour de la supervision de la thèse, de l’ambiance dans le labo et de la cérémonie de soutenance.
Association Bernard Gregory : Pourquoi avez-vous décidé de partir aux Pays-Bas ?
Aude Duquesne : Le 2e semestre de maîtrise à Paris VII pouvait se passer à l’étranger grâce au programme Erasmus. L’université nous fournissait une liste de sujets de stage. Je ne voulais pas partir trop loin. La Scandinavie, c’était un peu cher. L’Espagne, je ne parlais pas l’espagnol. L’Allemagne, mes notions de la langue étaient beaucoup trop rudimentaires. Il fallait que ce soit un pays où l’on puisse parler anglais. Il ne restait que les Pays-Bas sur la liste.
A l’issue de mon stage, à l’université de Leiden, mes superviseurs hollandais voulaient me garder en thèse, mais j’ai préféré finir mon cursus en France et puis, j’étais partie pour six mois, pas pour quatre ans. Je suis revenue faire mon DEA à Paris XIII et au milieu du DEA, j’ai repris contact avec l’Institut de chimie de l’université de Leiden. J’ai été convoquée pour un entretien, ils m’ont proposé trois sujets de thèse et à la fin de mon DEA, je suis repartie pour 4 ans… qui se sont transformés en cinq ans et demi, parce que mes débuts en thèse ont été chaotiques. J’ai commencé à travailler sur un sujet qui est allé dans le mur. Je pense que mon superviseur s’en doutait dès le départ, mais il n’a rien dit. Au bout de deux ans de recherches infructueuses, j’ai tout laissé tombé et je me suis lancée sur un autre sujet. Malgré ce gros problème, j’ai pu boucler ma (seconde) thèse en trois ans et demi.
Vous avez fait des présentations à l’étranger ?
Mon directeur de maîtrise poussait ses étudiants, mais pas mon patron de thèse. Quand les relations sont bonnes avec le patron de thèse, il y a de quoi faire parce que les labos ont des moyens. Tout est plus ou moins financé par le privé car il y a des grosses entreprises qui sont implantées dans la Randstadt (mégapole qui s’étend de Amsterdam à Rotterdam en passant par Utrecht). J’ai plein de collègues qui sont allés en Israël, en Australie dans des congrès. Moi, je n’ai pas vraiment eu de chance, je ne suis allée qu’une seule fois à un congrès en Grande-Bretagne. J’ai fait une présentation sous forme de poster. Sinon, j’ai participé à un évènement très sympathique, c’est un congrès néerlando-néerlandais. Avant, c’était à ce moment-là que les labos d’un secteur se distribuaient les fonds. Maintenant, ce n’est plus le cas, mais cette grand-messe existe toujours. Pendant deux jours, tous les labos se retrouvent dans un endroit paumé des Pays-Bas. Pour les doctorants, c’est une occasion unique de se rencontrer et d’échanger idées et expériences.
Malgré vos soucis de supervision de la thèse, les conditions de travail paraissent confortables aux Pays-Bas et les labos ressemblent à des auberges espagnoles, vous confirmez ?
Les doctorants ont un vrai contrat de travail ce qui leur permet de toucher des indemnités chômage quand ils cherchent un emploi, après la thèse. Après ma soutenance en octobre 2005, j'ai été moi-même au chômage aux Pays-Bas.
Par ailleurs, le labo est en effet un grand melting-pot. A l’Institut de chimie de Leiden, les deux tiers des membres était des non Néerlandais : Italiens, Espagnols, Roumains, Chinois, Japonais, Malais… Je dois dire que j’ai autant appris de ma thèse que de ce brassage de cultures.
Comment votre soutenance de thèse s’est-elle déroulée ?
C’est, très, très théâtral. Le maître de cérémonie (le Pedel) et le jury entre. Tout le monde se lève. Les membres sont en toge noire avec un petit chapeau carré. Les candidats hommes doivent porter le costume queue de pie. Les nouvelles universités veulent se démarquer un peu, alors ce n’est plus obligatoire, mais les candidats doivent être en costume. Pour les candidates, il n’y a rien de véritablement formalisé.
La soutenance débute. Pendant cinquante minutes, le jury pose ses questions. Ce sont les membres étrangers qui s’expriment en premier. Le superviseur n’intervient pas. Les échanges de questions sont très formels. Le candidat doit toujours s’adresser au jury avec des formules de politesse telles que « ces très estimés professeurs ». Au bout des 50 minutes pile, pas une de moins, pas une de plus, le Pedel (secrétaire de l'université) frappe un coup avec un bâton, déclare « hora este » et tout s’arrête. Ensuite, le jury se retire pour délibérer (première photo). Généralement, il revient au bout d’un quart d’heure. Un membre du jury déclare alors « On a bien entendu votre défense, vous avez votre thèse » (seconde photo). Le secrétaire du jury tend au candidat le diplôme de doctorat qui est enfermé dans une boîte en carton (troisième photo). Le superviseur remercie les membres du jury et il fait un petit discours sur le docteur. La cérémonie se clôture par un pot.
Le soir, il y a une réception. Généralement, les collègues de labo font un petit speech sur le candidat pour se moquer de lui. Pour moi, ils avaient repris une chanson en y intégrant deux, trois anecdotes personnelles. Une fois, je devais aller au labo en pleine nuit et je ne voulais pas y aller en vélo. Donc, j’avais pris ma voiture et j’ai malencontreusement écrasé un lapin. C’était l’horreur totale ! Bien sûr, ils n’ont pas manqué de ressortir cette histoire.
On m’a aussi parlé des Paranymfen. Qu’est-ce que c’est ?
Au départ (il faut préciser que l’Université de Leiden est la plus ancienne des Pays-Bas), la soutenance était conçue comme un échange de pensées (Gedacht wisseling) et ça pouvait chauffer entre le jury et le candidat. Les Paranymfen étaient là pour le protéger physiquement. Maintenant, ils sont juste là pour supporter moralement le candidat.
Mes Paranymfen, c’était ma sœur et un collègue de labo (ils sont à mes côtés sur les photos). Ils m’ont aidée à préparer la soirée. En général, ils s’occupent aussi de collecter l’argent pour le cadeau.
Y a t-il une mention sur la thèse ?
Il y a « cum laude », ce qui signifie avec les honneurs. C’est le patron de thèse qui fait la requête auprès des membres du jury, sans que le candidat le sache nécessairement. Le candidat doit répondre à certains critères : le diplôme avant le doctorat doit aussi être « cum laude », il faut un certain nombre d’articles publiés dans des revues cotées. En gros, si on a Nature, c’est quasiment assuré.
Les docteurs trouvaient-ils facilement du travail à l’issue de leur thèse, dans votre labo ?
L’économie néerlandaise est en baisse de régime actuellement, mais il y a deux, trois ans, il n’y avait aucun problème pour trouver un emploi avec un doctorat. Ceux que je voyais cherchaient trois à six mois maximum avant de décrocher un emploi.
Ils s’orientaient vers quoi ? L’université ?
Pour maintenir le niveau, les labos fusionnent, ce qui restreint les possibilités d’emploi académique. De plus, il y a une loi aux Pays-Bas qui édicte que quand l’université vous octroie plus de trois contrats non permanents, le 4e doit devenir permanent. Souvent on voit des chercheurs non permanents qui enchaînent trois contrats, puis ils restent au chômage trois mois et ça recommence.
Beaucoup de docteurs partent dans le privé. Dernièrement, il s’est créé un pôle technologique à Leiden. Il y a des start-up qui recrutent des docteurs. Même si c’est très risqué, cela représente des opportunités d’emploi.
Propos recueillis par Evelyne Jardin, le 3 février 2006.