Vincent Mignotte, directeur de l’ABG
Le mot « deuil » fait peur ; il évoque forcément la disparition d’un parent ou d’un proche, et la douleur indicible qui l’accompagne. L’expression commune « faire son deuil » indique bien qu’il s’agit d’un chemin difficile que l’on doit parcourir, entre le choc et la renaissance, la plongée et la remontée.
Pourtant, le phénomène de deuil se manifeste aussi dans des circonstances moins catastrophiques, voire heureuses. Ainsi, un ami ingénieur me disait il y a quelques années « J’ai travaillé sur le tableau de bord de l’Airbus ; quand j’ai vu l’avion décoller pour la première fois j’ai compris que le projet était terminé ». Un projet qui s’achève, et qui nous oblige donc à passer à autre chose, déclenche chez nous tous les sentiments liés au deuil. Le reconfinement que nous vivons depuis la fin du mois d’octobre, après un été où tout semblait redevenir possible, est un choc pour beaucoup d’entre nous. Le retour de l’hiver, de l’enfermement, des masques, des attestations et des magasins fermés, et surtout de la crainte de la maladie, nous déstabilisent inévitablement. Alors que se passe-t-il et que pouvons-nous faire ?
Les étapes du deuil ont été décrites par Elizabeth Kübler-Ross dans son ouvrage On death and dying, pour lequel elle a étudié les sentiments qu’éprouvaient des malades après l’annonce de leur mort prochaine, ainsi que leur entourage. Elles sont cinq :
Ces étapes ne se succèdent pas dans cet ordre strict, elles s’entremêlent au cours du temps. Le déni, la colère et les marchandages nous servent à nous protéger du choc en tenant la réalité à distance. La dépression puis l’acceptation sont une prise en compte de cette réalité.
Elisabeth Kübler-Ross s’est aperçue que l’expérience du deuil ne se limitait pas aux mourants et qu’elle se manifestait également pour un divorce, la perte d’un emploi ou d’autres événements. La crise sanitaire se prête bien évidemment à la même analyse ; les discours des invités des chaînes d’info en continu sont édifiants : Déni : « Il n’y aura pas de deuxième vague », Colère : « Non à la fermeture des bars et des restaurants ! », Marchandages : « L’arrêté municipal va me permettre d’ouvrir mon magasin en dépit du décret du gouvernement » et ainsi de suite.
Le monde a changé avec la pandémie de Covid-19, c’est probablement temporaire mais cela va néanmoins durer bien au-delà de 2020. Certains d’entre nous ont déjà été durement touchés par la maladie. De manière générale, le premier confinement nous a obligés à vivre et travailler différemment, à nous organiser, à gérer l’incertitude et la crainte, à être créatifs aussi. Il nous faut maintenant accepter la répétition de l’épidémie et vraisemblablement son aggravation, et en même temps continuer à avancer.
Des études plus récentes sur le deuil ont montré que l’acceptation n’en est pas la dernière étape. L’acceptation est une attente de l’inéluctable. Mais dépasser cela, c’est trouver le « cadeau caché ». C’est parvenir à dire « Cette épreuve m’a appris que…, m’a permis de… ». C’est un nouveau sens que l’on donne à sa vie et au monde, et qui nous remet en action.
Nous pouvons donc dès maintenant nous mettre à l’écoute de nous-mêmes, reconnaître ce qui nous traverse : la colère, la peur, la résignation… et nous autoriser à l’énoncer : « Je suis triste en ce moment ». C’est une première étape pour prendre conscience de ce qui nous importe le plus : nos valeurs, nos liens, ce que nous voulons réaliser, ou la cause que nous voulons défendre. Quelles sont nos priorités pour l’avenir, et qu’est-ce qui semble tout-à-coup secondaire ou pesant ?
Ce cheminement sera différent pour chacun de nous. Il fera forcément naître un nouveau projet, qu’il s’agisse d’un projet personnel, d’un projet professionnel, ou d’un grand projet de vie. Et l’été reviendra.
Références