Une thèse au Brésil

Evelyne Jardin

Depuis juillet 2005, Roberto Santoprete est chercheur chez L’Oréal après des années d’études et de recherche en Italie, au Brésil et en Allemagne.

1/ Pourquoi partir au Brésil faire une thèse ?
J’ai fait mes études en Italie jusqu’au DEA. Après l’obtention de mon DEA en 1999, je voulais partir à l’étranger. J’ai choisi le Brésil pour deux raisons. Primo, ma copine de l’époque était brésilienne et secundo, je connaissais une physicienne brésilienne. Il faut savoir qu’au Brésil, il faut bien cibler son centre de recherche parce qu’il y a des centres qui n’ont pas d’ouverture internationale suffisante.

2/ Comment avez-vous fait pour choisir ?
L’Université Fédérale de Rio est très connue dans mon domaine, les sciences physiques. Des professeurs à qui j’avais demandé conseil avant de partir au Brésil m’avaient dit que c’était probablement la meilleure université. Alors, j’ai pris des contacts là-bas et puis, pendant mes vacances au Brésil, j’ai passé les concours d’entrée à l’université.

3/ On entre par concours dans les universités brésiliennes ?
Tout à fait. Les candidats au doctorat passent un concours.

4/ Qu’y avait-il comme épreuves ?
Il y a une première sélection à partir du CV et il y a des épreuves écrites. Dans mon domaine, c’était une épreuve de physique qui durait 4-5 heures. Il fallait résoudre un certain nombres de problèmes. Ensuite, il y a une partie orale où un jury évalue la motivation des candidats.

5/ Après, il y a un classement ?
Oui. Je me suis classé 1er et j’ai eu une bourse doctorale. En même temps, j’avais postulé pour un autre centre de recherche : le Centre brésilien de recherche en physique à Rio. J’ai aussi été classé mais finalement, j’ai préféré l’université.

Je précise qu’au Brésil, les thèses durent généralement quatre ans. La première année, on suit des cours et on n’est pas obligé de choisir un directeur de thèse immédiatement. En Italie, c’est aussi comme ça. J’ai choisi un directeur connu au niveau international et j’ai commencé à travailler sur un projet de collaboration entre le Brésil et l’Allemagne. Dès le début de ma thèse, c’était prévu que je parte en Allemagne, mais ce n’était pas une thèse en co-tutelle pour autant. Mon directeur de thèse était brésilien.

6/ Qu’avez-vous fait à la fin de votre thèse ?
A la fin de ma thèse, j’avais le choix soit de rester au Brésil, soit de partir en post-doc en Allemagne. Ma femme était en France à ce moment-là. Le Brésil et l’Allemagne, ce n’était pas idéal pour concilier vie privée et vie professionnelle, alors j’ai décidé de chercher un post-doctorat en France.

7/ Pourquoi pas un emploi stable, directement ?
Je me suis dit que ce serait plus facile de trouver un post-doc qu’un emploi, en France. Je pensais qu’un post-doc me donnerait le temps de mieux connaître le marché du travail français. J’ai cherché en premier lieu un post-doc dans une grande école d’ingénieurs pour avoir des contacts avec des industriels car je voulais partir travailler dans le privé, ensuite. J’ai connu l’ABG (Association Bernard Gregory) à ce moment-là. Je me suis inscrit et j’ai consulté régulièrement les offres d’emploi en ligne.

Comme j’ai fait ma thèse au Brésil, je n’ai pas pu participer aux Doctoriales® qui n’existent qu’en France et je le regrette. C’est une expérience qui me semble très intéressante parce que, comme beaucoup de physiciens, je ne savais pas ce que je pouvais faire en dehors de la recherche publique.

8/ Quand vous avez fait votre post-doc, vous saviez que vous n’iriez pas vers la recherche publique, pourquoi ?
J’avais envie d’un emploi avec davantage de « challenge ». Depuis quelques années, je voulais savoir comment ça se passe en entreprise, pour un physicien. Dans le secteur académique, il faut publier, publier, publier et moi, j’aspirai à avoir du management dans mon travail.

9/ Pas seulement de la recherche en fin de compte.
C’est ça. Je voulais monter des projets, coordonner des équipes de chercheurs. C’est vrai qu’on peut le faire dans le secteur académique, mais j’avais l’impression qu’en entreprise, on pouvait le faire plus vite, sans être senior.

10/ Après votre post-doc, comment avez-vous géré votre recherche d’emploi ?
Il m’a fallu environ deux mois pour déterminer dans quelles entreprises je pouvais postuler. Dans ce repérage, l’ABG a été importante et les X-forums aussi. Ensuite, j’ai préparé mon CV, j’ai envoyé des candidatures spontanées et j’ai répondu à des offres publiées sur le site de l’ABG dont une émanant de L’Oréal.

11/ A votre avis, qu’est-ce qui a retenu l’attention de L’Oréal ? Votre profil international ? Votre spécialité ?
Au-delà des compétences scientifiques de haut niveau et suffisamment diversifiées (ce qui m’a semblé primordial), l’aspect international est aussi très important. J’avais touché à des sujets différents en physique : ce que j’avais fait en DEA, ce n’est pas ce que j’avais fait en thèse et mon post doc, c’était encore autre chose. Mon post-doc à Polytechnique et mon expérience allemande chez Max Planck ont aussi été des bons points, je pense.

12/ Avec votre bagage, vous auriez pu vous orienter vers une carrière académique, vous ne le regrettez pas ?
Pour intégrer le secteur académique, il faut être plus que motivé. Il faut accepter de rester en CDD pendant plusieurs années avec des niveaux de salaire pas très élevé.

13/ Dans l’avenir, envisageriez-vous de partir au Brésil ?
Au Brésil, dans le secteur privé, ce n’est pas facile de trouver un emploi en R&D parce qu’il n’y a pas de grandes entreprises. Les seules que je connaisse qui fassent de la recherche, ce sont Petrobras et Embraer.

14/ Qu’est-ce que vous donneriez comme conseils aux jeunes chercheurs tentés par le Brésil ?
Un post-doctorat au Brésil, c’est peut-être pas mal. Moi, j’ai fait une thèse et je pense que c’était un choix plus risqué. Quoi qu’il en soit, il faut se préparer à être capable de justifier, malheureusement, pourquoi on est parti au Brésil.

Si l’on veut rester dans la recherche académique, cela me semble plus pénalisant d’aller au Brésil que d’aller aux Etats-Unis puisque les labo plus prestigieux sont plus nombreux en Amérique du Nord. Dans la recherche privée, ce sont d’autres qualités qui importent, alors c’est peut être moins pénalisant de partir au Brésil.

Propos recueillis le 5 avril 2006, par Evelyne Jardin.