Assurément européen !

Evelyne Jardin

Ecole d’ingénieur en Espagne, master aux Pays-Bas, doctorat en France puis retour au pays natal, l’Espagne. Parcours de Seraphin Gutierrez, aujourd’hui chef de projet au centre de Recerca i Investigacio de Catalunya à Barcelona.

Comment êtes-vous parti aux Pays-Bas ?

Je suis parti en Hollande grâce au programme Erasmus. Je me suis inscrit en master en Hollande parallèlement à mes études d’ingénieur en Espagne. J’ai passé une année et demi en Hollande.

Pourquoi avoir choisi la Hollande ?
On m’avait proposé plusieurs destinations (la Hollande, l’Angleterre et le Portugal). J’ai choisi la Hollande parce que l’université d’agronomie de Wageningen est réputée comme l’une des meilleures au monde. En plus, vous travaillez en anglais sans que ce soit en Angleterre. Je connaissais déjà un peu l’Angleterre. J’avais envie de découvrir d’autres horizons.

Ensuite, vous enchaînez sur un doctorat. Vous avez choisi un sujet de recherche et ensuite, vous avez cherché un financement. Comment vous y êtes-vous pris ?
J’ai beaucoup cherché ! Davantage que pendant ma thèse ! En Espagne, il y avait plusieurs possibilités. On a de la chance de ce point de vue car il y a pas mal de bourses. Bien sûr, elles ne sont pas aisées à obtenir, mais comme j’avais un diplôme d’ingénieur, un master avec des publications internationales, ça m’a énormément aidé. J’ai obtenu une bourse assez prestigieuse d’une banque espagnole en collaboration avec l’ambassade de France. Tout de suite après, c’est de le gouvernement régional basque qui a pris le relais et qui a payé mes études doctorales jusqu’à la fin.

Vous avez une expérience très européenne. Vous me disiez qu’il a y des différences dans les façons de travailler entre les labo. Lesquelles avez-vous pu remarquer ?
Aux Pays-Bas, ce qui m’a plu, c’est le sens de l’organisation. Les Hollandais sont très pragmatiques. Ils ont un objectif très clair et ils font tout pour atteindre cet objectif. Ils font en sorte que toute l’organisation aille dans le même sens. En France, c’est un peu la même chose, mais avec moins d’organisation… et les objectifs ne sont pas toujours très clairement définis. Cela ne concerne pas toutes les équipes de recherche, mais j’ai trouvé que c’était assez flou en général. En Espagne, c’est encore pire pour l’organisation. C’est improvisé dans la plupart des cas que j’ai rencontré.

Comment avez-vous envisagé la fin de la thèse ?
Après la soutenance en 2004, j’ai pris quelques mois réfléchir. Je ne décidais plus tout seul car j’avais une petite copine française. Il y a le projet professionnel et il y a les projets personnels. Pour moi, le dernier aspect est aussi important, sinon plus. Tous les deux, on s’est demandé ce que l’on pouvait faire. On a décidé de partir à Barcelone parce qu’il y a beaucoup de possibilités professionnelles et la ville est très sympa. De plus, c’est à mi chemin entre le pays basque et Marseille. Ma copine est marseillaise et moi je suis basque espagnol ! Quand on a débarqué ici, on avait quelques amis, mais aucun de nous deux n’avait de boulot. J’avais quelques contacts. Je connaissais quelques personnes dans les Ressources Humaines. Elles m’ont dit qu’avec mon profil très spécialisé, il me faudrait au moins six mois pour décrocher un job. En effet, ça m’a pris six mois. Au bout de six mois d’investigations intenses, le téléphone s’est mis à sonner. J’étais content.

Vous cherchiez dans quelle direction ?
Je voulais entrer dans une grande entreprise privée de biotechnologie. Je favorisais les grandes entreprises parce qu’un bon niveau d’organisation permet d’apprendre vite. Je me suis rendu compte rapidement qu’à Barcelone ce n’était pas le meilleur endroit pour mon profil, alors je me suis dit qu’un post-doctorat sur un sujet porteur pour une entreprise, ce serait peut-être une bonne piste. J’ai contacté des groupes de recherche sur place et j’ai choisi un sujet qui m’intéressait. Je suis reparti pour des demandes de bourses. J’étais rodé ! Six mois plus tard, ça porte ses fruits : une grande entreprise américaine me téléphone pour aller travailler à Bruxelles. Au même moment, un centre privé de R&D me propose un poste de chef de projet et le gouvernement basque m’annonce que j’ai obtenu une bourse pour le post-doc. J’ai finalement choisi le poste de chef de projet au Centre de Recerca i Investigacio de Catalunya. Je pouvais rester à Barcelone.

Le Centre de Recerca i Investigacio est spécialisé dans quoi ?
C’est un centre de R&D privé spécialisé dans des projets de développement de nouvelles solutions technologiques pour l’entreprise. Il y a plusieurs spécialités allant des télécommunications à l’électronique en passant par la physique, l’informatique, et l’ingénierie des procédés. Je dois développer le pôle des biotechnologies.

Nous travaillons sur des projets de R&D pour les PME financés par la Commission européenne. Le centre est classé parmi les premiers d’Europe en taux de réussite de financement de ce type de projets.

De plus, il y a une super ambiance dans le centre où travaille une vingtaine de personnes. C’est capital. Pendant ma thèse, j’ai constaté qu’avoir une bonne ambiance de travail, ce n’est pas quelque chose que l’on paie avec de l’argent.

Les gens qui travaillent autour de vous, quel profil ont-ils ?
Il y a beaucoup d’ingénieurs en électronique et en télécommunications. Il y a une docteur en biotechnologie-pharmacologie et un docteur en physique.

Les projets sur lesquels vous travaillez, ce sont les entreprises privées qui vous les confient ? Comment, cela se passe ?
Il y a deux options, soit nous identifions un problème dans un secteur, soit une entreprise nous contacte pour résoudre un problème technologique. Dans les deux cas, nous travaillons en collaboration avec d’autres groupes de recherche européens pour trouver, ensemble une solution technologique au problème.

Les projets sur lesquels vous travaillez ont quelle durée de vie en général ?
Entre deux ou trois ans. Parfois, les exigences de la part de la Commission européenne au niveau de l’excellence technologique font que c’est parfois un peu court. On nous demande d’utiliser des technologies très innovantes et ce n’est pas toujours très facile à mettre au point au niveau des applications en deux ans.

A quel titre intervient la Commission européenne ?
D’abord au niveau de la sélection des projets. C’est très difficile d’obtenir un financement européen. En général, il y a seulement 8% des projets présentés qui sont financés par la Commission. Nous avons un taux de réussite de 50% sur certains types de projet.

Une fois que le projet a été accepté par la Commission, il y a un officier qui est nommé et qui s’occupe du suivi du projet. Il peut décider à n’importe quel moment d’arrêter le projet s’il juge qu’il n’est pas bien mené. Nous sommes tenus de faire des rapports tous les trois et six mois. Il faut rendre quelque chose de consistant avec tous les résultats.

Sur tous les projets en cours, beaucoup émanent de la Commission ?
Non. La Commission ne fournit pas d’idées ; elle sélection, elle finance et elle suit les projets.

Quelles sont vos perspectives professionnelles ?
Mon projet est de gagner de l’expérience comme chef de projet et ensuite, de créer ma propre entreprise. J’ai de la chance parce que mon entreprise actuelle favorise la création de spin-offs. La participation aux doctoriales, pendant ma thèse en France a été déterminante pour la conception définitive de mon projet professionnel. Le temps consacré au projet de création d’entreprise permet de t’asseoir et de te demander comment tu gères un cas. J’avais déjà une petite idée, mais ça m’a permis de me frotter directement au projet. En thèse, on travaille toujours le nez dans le guidon, on est totalement pris par ça et pourtant il faut penser au futur. Les doctoriales, c’est un moment où on peut réfléchir à son projet professionnel. En plus, on noue des contacts. Un des organisateurs des doctoriales de Montpellier est installé à Barcelone, je l’ai contacté quand je suis arrivé ici et il a été d’une grande aide. Les contacts et le carnet d'adresses, ça compte énormément quand on cherche du boulot.

Propos recueillis le 8 mars 2006 par Evelyne Jardin.