Un historien multitâches
Evelyne Jardin
Yann Harlaut est docteur en histoire de l’université de Reims, spécialisé en histoire locale. Edition, formation, tourisme… Yann cumule les activités sans statut fixe. Il envisage de créer son entreprise.
1/ Un docteur en histoire qui ne soit ni enseignant dans le secondaire, ni enseignant-chercheur dans le supérieur, c’est plutôt rare n’est-ce-pas ?
Je n’ai jamais voulu devenir enseignant ou enseignant-chercheur. J’ai n’ai pas eu d’allocation de recherche pour faire ma thèse. Je travaillais pour la ville de La Chapelle Saint-Luc (10) pendant mes cinq années de doctorat. Tout mon temps libre passait dans mes recherches sur la cathédrale de Reims entre les deux guerres. J’ai rassemblé énormément de sources documentaires que j’ai analysé, synthétisé et problématisé pour déterminer comment un monument tel que la cathédrale de Reims pouvait s’inscrire dans l’histoire nationale. 776 pages plus tard, j’ai soutenu en portant une attention toute particulière au côté relations publiques. Avant la soutenance, j’ai confectionné un dossier de presse que j’ai envoyé aux médias locaux. Un journaliste local est venu m’interviewer et il m’a confessé qu’en 17 ans de carrière, il n’avait relaté en tout en pour tout, que deux soutenances de thèse à l’université de Reims.
De plus, pour assister à ma soutenance, j’avais convié énormément de responsables associatifs et d’élus locaux. Un seul s’est déplacé finalement, mais cela a permis de me faire connaître et de commencer à tisser mon réseau.
2/ Voici une attitude qui détonne par rapport au stéréotype des historiens rats de bibliothèque.
J’ai toujours pensé qu’il faut communiquer du mieux possible et que cela nécessite une petite réflexion en amont. Et puis, j’ai cherché à valoriser mon travail de thèse sous forme de publications, de communications sans me cantonner au domaine scientifique stricto sensu. Je ne voulais pas publier ma thèse in extenso.
Si j’ai beaucoup de publications à mon actif, c’est parce que j’ai décidé de publier des morceaux de la thèse sur différents supports, éventuellement pour de la communication d’entreprise dans le cas du champagne ou des choses plus grand public sur la cathédrale de Reims. De la sorte, j’ai deux contrats d’édition qui vont déboucher sur deux ouvrages en 2007, l’un sur le canton de Verzy publié en septembre et l’autre sur L’Ange au Sourire avant les fêtes de fin d’année.
3/ L’édition représente une part essentielle dans votre activité professionnelle, vous suffit-elle pour vivre ?
Après la thèse, j’ai passé plusieurs concours, celui d’attaché de conservation du patrimoine (catégorie A de la fonction publique territoriale) et celui d’assistant de conservation du patrimoine et des bibliothèques (catégorie B de la fonction publique territoriale). J’ai réussi celui d’assistant mais il faut savoir que pour ce type de concours, la durée d’attente entre la réussite au concours et l’obtention d’un poste peut-être longue. Le temps moyen d’embauche est d’un an. Entre temps, il faut trouver à s’occuper ! Quoiqu’il en soit, les concours administratifs sont une porte de sortie pour les docteurs en sciences humaines, mais le niveau de recrutement augmente et l’on voit de plus en plus de docteurs se rabattre sur des concours de catégorie B alors que les profils recherchés sont de plus en plus techniques (on demande la maîtrise de logiciels bien spécifiques), des compétences qui ne collent pas nécessairement à la formation par la recherche. Peut-être serait-il opportun d’avoir des modules professionnalisant pendant le doctorat ?
4/ Avez-vous pu valoriser votre doctorat ?
Comme je l’ai expliqué, j’ai envoyé des parties de ma thèse à des éditeurs et je leur proposais des projets. J’ai eu la surprise d’être généralement pris au sérieux. Le titre de docteur en histoire n’est pas étranger à cette crédibilité. Un exemple :j’ai récemment été embauché par la maison de champagne Henri Abelé pour mener des recherches historiques et rédiger un ouvrage à l’occasion de leur 250e anniversaire. Or, je les avais contactés en maîtrise pour utiliser leurs archives, mais ils n’avaient pas souhaité me recevoir.
Parallèlement à ces activités d’édition, je suis enseignant-vacataire en français, en histoire et en histoire de l’art. Cette année, j’ai assuré des remplacements en histoire pour le rectorat de Reims. Y compris dans le domaine de la formation, j’essaie d’inventer des supports de cours. Dans tous les domaines, je tente de créer la demande.
5/ Tout ceci paraît très intéressant, mais c’est extrêmement précaire…
Je ne regrette pas mon parcours et si c’était à refaire, je replongerais dans les délices du doctorat. Par contre, j’anticiperais davantage l’après thèse et j’aurais mieux adapté son orientation aux potentialités de valorisation.
En tout cas, je ne me plains pas de ma vie professionnelle actuelle. J’organise mon temps comme je l’entends, je suis très libre. Le revers de la médaille, c’est une certaine précarité financière, mais j’ai bon espoir car les projets ne manquent pas.
6/ Alors, pourquoi ne pas vous mettre à votre compte ?
J’ai attendu d’avoir un premier contrat et avec la maison de champagne, c’est désormais chose faite. Je n’ai plus qu’à me jeter à l’eau en sachant m’entourer pour tous les aspects administratifs.
Propos recueillis le 12 janvier et le 23 août 2007 par Evelyne Jardin.