Évaluation des éco-émotions liées aux dérèglements climatiques et étude des stratégies d’adaptation, au sein de la population étudiante en premier cycle, à la suite de l’UE « Enjeux de la transition socio-écologique » de l’Université de Franche Comté

● Contexte et intérêt scientifiques :

L’insécurité, le danger, le chaos et un système planétaire instable en raison des activités humaines ont des effets psychologiques à court et long terme (1). De nombreux articles traitent des dérèglements climatiques et de leur menace pour la santé du vivant (2). Concernant la santé humaine, ils œuvrent pour comprendre ce phénomène complexe, l’association entre la crise climatique et la santé mentale, et proposent des interventions.

La prise de conscience des dérèglements climatiques anthropiques actuels et à venir conduisent à une perturbation de la santé mentale, allant d’inquiétudes récurrentes à la dépression, en passant par des crises de panique et un risque accru de suicide (1). L’ensemble de ces constats a conduit à l’émergence des termes « éco-émotion » ou encore « éco-anxiété ». Il existe 4 grands types d’éco-émotions décrites selon leur polarité positive ou négative et leur capacité à inciter à l’action ou à engendrer une paralysie mentale :

-  les positives qui incitent à agir, telles que l’espoir et la combativité ;

-  les positives qui n’incitent pas à l’action, telles que l’apaisement et l’indifférence ;

-  les négatives qui incitent à agir, telles que l’anxiété, la culpabilité et la colère ;

- les négatives qui n’incitent pas à agir, telles que le découragement, la tristesse, la résignation et le désespoir.

En parallèle, le phénomène d’éco-anxiété décrit l’anxiété liée au changement climatique et a été défini par l'American Psychological Association en 2017 comme « une peur chronique d'une catastrophe environnementale » (3). Les symptômes de l’éco-anxiété sont multiples :

-  sentiments négatifs de stress, anxiété, désespoir, frustration ;

-  insomnie et dépression ;

-  sentiment d’impuissance et perte de foi en l’avenir ;

-  incapacité à se projeter dans l’avenir ;

-  sentiment d’isolement lié au fait de ne pas être compris par son entourage.

Des travaux soulignent que les jeunes y seraient très sensibles et recommandent de poursuivre les études initiées sur les populations pédiatriques et de jeunes adultes (4). Ainsi, Elizabeth Marks et al. en 2021 (5) ont mené une étude internationale auprès de 10 000 jeunes de 16 à 25 ans dans 10 pays. Cette étude a mis en évidence que 84 % des jeunes étaient “au moins modérément inquiets en raison du changement climatique” et que plus de 45 % déclaraient que leurs sentiments désagréables (tristesse, colère, impuissance, culpabilité) à l’égard du changement climatique affectaient leur vie quotidienne. Enfin, elle a révélé que 4 jeunes sur 10 hésitent à avoir des enfants à cause de la situation climatique (6).

De plus, la crise écologique actuelle amplifie les schémas de consommations de substances psychoactives dans le monde, plus spécifiquement chez les personnes vulnérables dont les jeunes (5,7). Cette consommation est alors décrite comme une stratégie pour faire face aux émotions négatives générées par l’anticipation des évènements climatiques (5). L’intégration de l’usage de substance, ou tout autre comportement addictif, dans un modèle de régulation émotionnelle est un fait connu de longue date (8).

Il existe donc un réel intérêt à explorer les liens entre la régulation émotionnelle et les capacités à faire face à l’anxiété induite par la crise environnementale, telles que celles énoncées par le psychiatre français, Caroline Depuydt (9) : verbaliser ses émotions en s’adressant à des amis, un professionnel de santé mentale ou des membres de sa famille ou réguler ses émotions en pratiquant des activités sportives ou de méditation, qui permettent de libérer les tensions et de se reconnecter au présent.

Il est donc pertinent de chercher à mieux comprendre comment ces différents modèles de régulation émotionnelle évoluent, interagissent entre eux et pourraient être vecteur d’usage à risque dans le contexte actuel des dérèglements climatiques.

● Objectifs :

L’objectif principal de cette étude ECOP (Eco-émotion et COPing) consiste à modéliser les liens entre les éco-émotions et le développement de stratégies d’adaptation, auprès des étudiants participant à l’UE TSE de l’UFC. Nous étudierons alors les éco-émotions rapportées par l’échelle de mesure des éco-émotions EMEAS (10) et l’échelle d’impact émotionnel ICE (11), selon les différentes stratégies d’adaptation rapportées par les questionnaires Brief COPE (évaluation des stratégies d’adaptation) (12), ASSIST (outil de dépistage des troubles d’usage de substances) (13,14), CEBRACS (Questionnaire de l’Évaluation des Besoins en Récupération et Accompagnement des Comportements de Santé) (15) et SCOFF (dépistage des troubles alimentaires) (16). Les objectifs secondaires sont :

1. Déterminer la prévalence des éco-émotions, selon les dimensions de EMEAS et ICE.

2. Modéliser les stratégies d’adaptation selon le type d’éco-émotions. Cela inclut l’étude des différences observées de la présence ou non de comportements addictifs (ASSIST, CEBRACS, SCOFF), selon les variables sociodémographiques, ainsi que les aptitudes à faire face ou à réguler les émotions (Brief Cope) et à se projeter dans l’avenir (EMEAS et ICE). ECOP mesurera également l’impact de l’UE (avant/après) sur les éco-émotions et sur les stratégies d’adaptation.

3. Déterminer les actions environnementales collectives ou individuelles des étudiants, à partir des échelles d’éco-émotion (EMEAS, ICE) et des entretiens semi-directifs.

4. Confirmer, dans la population cible, la validité psychométrique des échelles de mesure utilisées dans ECOP (EMEAS, ICE, Brief COPE, ASSIST, CEBRACS, SCOFF).

5. Évaluer la corrélation entre les échelles utilisées afin de distinguer les concepts étudiés.

6. Analyser les interactions étudiants/enseignants lors des apprentissages de l’UE TSE.

7. Analyser l’évolution des réponses, en distinguant les éventuels différents profils des scores des questionnaires (par dimension), selon les 3 années d’enseignement observées.

● Intérêts scientifiques

Il existe un réel intérêt à explorer les stratégies d’adaptation aux éco-émotions induites par la conscience environnementale, car il s’agit d’un enjeu sociétal pour toutes générations (17). Cette conscience peut provenir des informations et connaissances à disposition des citoyens (big data) sans interaction. En revanche, des connaissances scientifiques issues d’enseignements interactifs devraient réduire les effets anxiogènes d’un futur préoccupant. Nous mesurerons alors les interactions entre étudiants et enseignants, rarement étudiées dans la littérature sur la transition socio-écologique (TSE). Les psychiatres conseillent de verbaliser ses émotions auprès de l’entourage, d’un professionnel de santé ou de réguler ses émotions par des activités qui libèrent les tensions et reconnectent au présent (sports, relaxation, prévention environnementale, ...). Ils suggèrent de s’engager dans des actions environnementales individuelles ou collectives constructives (18), en parallèle d’un soutien social et communautaire (19).

Il est donc pertinent de chercher à mieux comprendre comment les différents modèles d’adaptation évoluent, sont associés et pourraient être facteurs ou non d’usages à risque dans le contexte des dérèglements climatiques, ou plus précisément d’un système planétaire instable et d’un système sociétal dysfonctionnel. Aujourd’hui, mais surtout pour les générations à venir, les chercheurs et les soignants doivent être prêts à évaluer ce phénomène complexe des éco-émotions et à fournir une aide à ceux qui ne peuvent pas faire face à l’anxiété et au deuil climatique (1).

● Hypothèses générales

La meilleure compréhension des éco-émotions et leur influence sur les comportements devrait permettre de trouver une réponse adaptée à cette nouvelle forme de stress, tant d’un point de vue individuel que sociétal et sanitaire.

Les éco-émotions ne conduisent pas toujours à une maladie, mais peuvent provoquer des sentiments désagréables face à la connaissance scientifique des dépassements des limites de l’équilibre de la planète et à l’inertie sociétale ressentie, jusqu’à une dégradation de la santé mentale conduisant à des comportements addictifs. C’est pourquoi, une meilleure compréhension des éco-émotions et des comportements d’adaptation associés pourrait permettre d’explorer les modes de prévention, tant d’un point de vue individuel que sociétal et sanitaire. Expliquer l’impact des éco-émotions sur des comportements dysfonctionnels et favoriser l’accompagnement des personnes pour les réguler pourraient être un des moyens de faire face à l’augmentation prévisible de ce phénomène. Les pistes d’accompagnement seraient a priori axées vers une résistance, une résilience et des actions collectives constructives, telles que les bienfaits de la reconnexion avec la nature et l’émerveillement à participer activement aux défis de la transition socio-écologique (17, 18, 20). Notre terrain de recherche est offert par l’Unité d’Enseignement (UE) sur la “transition socio-écologique” (TSE) de l’université de Franche Comté (UFC). Or, évaluer l’impact de l’UE TSE sur les éco-émotions des étudiants contribuerait à améliorer l’apprentissage des connaissances. De plus, l’évaluation de l’UE par les étudiants eux-mêmes et l’analyse des interactions étudiants/enseignants optimiseraient la pédagogie et a fortiori la prévention des éco-émotions. Cette UE se décline en 6 chapitres : Introduction, Climat, Ressources, Biodiversité, Une seule santé, Transitions justes et équité sociale.

Il s’agira de faire le point sur l’influence de la situation climatique actuelle et à venir sur la santé mentale des étudiants à la suite de cette formation, afin d’envisager les modes de prévention des éco-émotions. L’élaboration d’une mesure subjective des éco-émotions permettra d’explorer l’impact de cette formation sur les éco-émotions positives et négatives des étudiants informés. Un complément d’information sur les perceptions des formateurs permettra de compléter les observations.

Nous enregistrerons et analyserons les interactions verbales entre les étudiants et les enseignants, avec le double objectif de corroborer la qualification des éco-émotions manifestées par les répondants (questionnaires, entretiens) et optimiser ainsi le volet pédagogique et, a fortiori, la prévention des éco-émotions.

Nous mettrons en évidence les stratégies d’adaptation mises en place par les étudiants pour faire face à un avenir préoccupant. Nous évaluerons la relation entre les éco-émotions des étudiants et la mise en place d’actions individuelles ou collectives et/ou d’addictions (alcool, drogues, jeux et alimentation). En revanche, les échelles de mesure des éco-émotions validées, ne permettent pas d’explorer l’ensemble des éco-émotions décrites (1). C’est pourquoi, notre approche qualitative est nécessaire pour compléter le contenu des échelles existantes et pour élaborer des réponses adaptées au phénomène croissant d’éco-émotions.

Université Marie et Louis Pasteur à BESANCON

Laboratoire LINC

- connaissances et compétences requises : Biostatistiques, validation psychométrique, mise en place et analyse d’entretiens semi-directifs, maitrise de l’anglais, analyse d’articles scientifiques, approche systémique des dérèglements climatiques et de la transition socio-écologique.