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Centres de recherche industriels : de Fort Knox au Campus High Tech

Fabrice Martin

L'un fait sauter ses grilles et s'intitule Campus High Tech, l'autre organise un salon de l'innovation dans ses murs, tous prônent la collaboration et la mobilité .... Que se passe-t-il dans les grands centres de recherche industriels ?

C'est une nouvelle façon de faire de la recherche en entreprise. Henry Chesbrough, le professeur américain qui a théorisé le concept dans un ouvrage fondateur en 2003, l'a baptisé "Open Innovation" et il le considère comme « le nouvel impératif pour créer et profiter de la technologie ».

« Avant, raconte Yves Morel, Innovation Manager chez Schlumberger, vous implantiez votre centre de recherche dans un bel endroit entouré d'un parc boisé et vous isoliez vos chercheurs. C'était la culture du secret et il faut dire que cela a bien marché pendant longtemps. » Mais aujourd'hui, comme l'explique Jan Misker, responsable des relations avec les universités au Philips High Tech Campus de Eindhoven, il faut bien accepter que « nous ne pouvons pas tout savoir et tout faire nous-mêmes. Le délai de mise sur le marché (time to market) et le cycle de vie des produits sont de plus en plus courts. Parallèlement, leur diversité et leur complexité vont croissant. Si la mise au point d'un produit nécessite des connaissances que nous n'avons pas, nous ne pouvons pas passer des années à bâtir ces connaissances nous-mêmes. » Jérôme Dano, Directeur des ressources humaines du Nestlé Research Centre, à Lausanne fait le même genre de constat : « Désormais, toute innovation sera pluridisciplinaire mais on ne peut pas recruter tous les meilleurs chercheurs dans tous les domaines ».

Si l'on ne peut plus maîtriser toutes les connaissances dont on a besoin, au moins peut-on réduire le temps nécessaire pour savoir si elles existent et où elles se trouvent. L'accès au savoir, c'est tout l'enjeu de l'Open Innovation. Et la clé a un nom : le réseau. Pour Yves Morel, c'est bien simple, « dans l'avenir, ce qui fera la différence, ce n'est pas le nombre de chercheurs mais l'efficacité de notre réseau scientifique, la gestion et l'intégration de connaissances pluridisciplinaires ».

Un mouvement d'ouverture sans précédent
Du coup, les centres de recherche sortent des bois : Schlumberger se rapprochent géographiquement des campus universitaires (en Chine, à Moscou ou encore au MIT) et organise, pour la première fois, un salon de l'innovation pour tous les centres techniques du groupe auquel sont conviées des sociétés extérieures ; le centre de recherche Philips ouvre carrément ses grilles pour devenir lui-même un High Tech Campus et accueillir des équipes de recherche extérieures, des start-up, des fournisseurs... « Nous voulons créer une sorte d'écosystème autour de nous où les gens puissent bénéficier de nos infrastructures, de nos connaissances et nous des leurs », explique Jan Misker. Enfin, tous soignent leurs relations avec les universités. Ils invitent des scientifiques à des conférences et séminaires, font venir de grands professeurs pour des congés sabbatiques, encouragent leurs propres chercheurs à publier, à se rendre à des congrès, à travailler à l'université à temps partiel, ils nomment des "ambassadeurs" dans les écoles, passent des contrats de recherche avec des laboratoires académiques ou sociétés privées, leur loue ou leur prête des équipements, ils embauchent, comme au Nestlé Research Centre, de jeunes chercheurs sur des contrats post-doctoraux de deux ans... Et chaque scientifique qui passe draine des connaissances puis repart et devient un membre du réseau. Un de ceux qui pourront rapidement trouver le bon interlocuteur dans leur discipline le jour où l'on en aura besoin.

Une telle (r)évolution n'est pas sans impact sur la carrière et le recrutement des chercheurs car leur rôle n'est plus seulement de produire des connaissances mais aussi de construire et d'entretenir leur réseau, d'attirer à eux d'autres scientifiques, de forger leur renommée, leur légitimité... « Le concept d'Open Innovation nous permet d'avoir un puissant réseau scientifique qui est aussi notre principale source de recrutement », explique Jérôme Dano. Mais attention, les critères de sélection ont évolué eux aussi. Chez Nestlé, ce sont les "soft skills" (curiosité, courage, capacité à faire le lien entre différents domaines, orientation résultats, créativité, coopération proactive...) qui viennent s'ajouter aux critères plus scientifiques. Chez Philips, dans un domaine où le savoir perd de sa valeur aussi vite que les générations successives de produits et doit donc se renouveler en permanence, on attend surtout des chercheurs qu'ils soient capables de changer de sujet (faisant, par la même occasion, place aux nouveaux talents) et pour cela, quel meilleur moyen que de s'appuyer sur son réseau scientifique ?

Une chance pour les docteurs ?
En tous cas, malgré le goût prononcé de Schlumberger pour les formations d'ingénieurs, Yves Morel se montre optimiste pour ceux qui savent, en trois ans de thèse, se construire un savoir et un réseau scientifique : « Je crois qu'il va y avoir de nouvelles opportunités pour les docteurs, non seulement dans le privé mais aussi dans les laboratoires avec lesquels nous travaillons. »