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Discours du Président Vincent Berger pour la réunion de l'institut des écoles doctorales de l'université Denis Diderot

Vincent Berger, Président de l'Université Denis Diderot – Paris 7.

Discours du Président Vincent Berger pour la réunion de l'institut des écoles doctorales de l'université Denis Diderot. Station de biologie végétale, Avon-Fontainebleau, le 23 novembre 2010.

Chers collègues,

Je suis très heureux de pouvoir m’adresser à vous et échanger avec vous sur la question des Ecoles doctorales, des doctorants et de leur encadrement. C’est une question qui engage l’avenir de l’université et de la recherche en général, une question dans laquelle nous devons nous engager avec conviction, voire avec audace. Comme le disait récemment la Ministre dans son discours pour célébrer les trente ans de l’Association Bernard Gregory, « dans la société de la connaissance les docteurs sont partout ».
C’est donc une question qui n’engage pas seulement l’avenir de l’université comme je le disais à l’instant, mais l’avenir de la société toute entière. Comme toujours dans l’université — mais c’est vrai en fait de toute institution —, le dispositif technique, les paramètres fonctionnels impactent profondément la nature même de notre action, ses effets, son sens, notre prise sur la réalité qui nous entoure. Mais le dispositif technique n’est que le déploiement concret d’une volonté politique. En ce qui concerne les doctorants, et le doctorat, de nombreuses questions font encore débat actuellement. On pourrait penser pourtant que quelques années maintenant après le processus de Bologne, le doctorat est une tradition bien installée en France, comme dans le reste de l’Europe. Pourtant, le doctorat est plus que jamais un sujet d’actualité. De la réponse qu’apportera l’université française à ces questions dépend pour partie le succès du doctorat, qui n’occupe pas encore la place qu’il mérite dans notre société. Mais il est trop facile de dire que le doctorat n’est pas assez reconnu par le reste de la société française. Comme si l’université n’y pouvait rien... C’est aussi à nous, universitaires, de faire progresser le doctorat en répondant de façon constructive et ambitieuse aux questions importantes dont je parlais à l’instant – et j’en aborderai quelques unes aujourd’hui. Ces questions portent sur le statut du doctorant, la nature du doctorat, le lien entre le doctorat et le reste de l’université – la place du D dans le LMD –, le rôle également et la responsabilité du directeur de recherche, et aussi de l’Ecole Doctorale.

La mission d’un directeur de recherche est éminemment complexe. Elle ou il doit, tout à la fois, outiller le doctorant, l’inspirer, le motiver, l’accompagner – et j’emploie ce mot à dessin en reprenant le mot de compagnon qui signifie le partage – l’accompagner disais-je en lui faisant partager une partie de ses propres acquis. Mais il ou elle doit aussi lui donner la passion de l’inconnu, la confiance en lui-même et en ses capacités à affronter le principe cardinal d’incertitude, la force de toujours inlassablement remettre le travail sur le métier, le goût de défricher et aussi l’humilité qui lui permettra, sans peur, d’interroger ses propre conclusions. Une sorte de père ou de mère spirituel(le) en quelque sorte, aussi guide de haute montagne, entraineur encore.

Une directrice ou un directeur de recherche doit — l’alchimie est complexe — faire comprendre à ses doctorants que le doute est une force, qu’il nous fait aller de l’avant, qu’en lui le chercheur puise son énergie, celle-là même qui fait sa créativité. Celle-là même aussi qui fera sa valeur, dans un laboratoire, dans une équipe de R & D, dans son environnement professionnel, à l’université ou dans une entreprise. Le doute. La recherche, c’est le doute institutionnalisé. Le doctorat, c’est l’apprentissage du doute comme façon d’être. Le doute qui atteint le style, la langue, la posture, le doute qui construit une seconde nature. On sait combien le doctorat est moins reconnu en France que dans le reste du monde, et on sait combien la France a la réputation d’être un pays où la confrontation des idéologies, la confrontation des certitudes, l’emporte sur la discussion dialectique où chacun a suffisamment de doute en lui pour laisser parler l’autre avec attention.

J’aimerais vous raconter une anecdote que je cite souvent. Dans l’une des institutions cardinales de la république, que je ne citerais pas, les élèves furent un jour accueillis avec cet encouragement : « mesdames et messieurs, maintenant que vous avez réussi ce concours qui vous a ouvert les portes de l’élite de la république, maintenant que vous êtes engagés sur la voie royale, il faut bien comprendre une chose. Si un jour vous percutez un platane, c’est le platane qui a tord ». La France est le pays des platanes qui ont tord, des zincs de bistrots où fusent les « y’a qu’à », « faut qu’on ». La France est le pays où l’on sait tout et l’on ne doute de rien. Vous le savez, l’ambition de l’université, au delà de son activité de recherche, de formation par la recherche, l’ambition de l’université est la diffusion de valeurs en profondeur dans la société et dans la cité. La première valeur est celle du doute, celle de Galilée. Avant Galilée, la vérité descendait des textes, descendait directement de Dieu. La vérité était écrite. Après lui, la vérité est devenue l’objet d’une conquête personnelle ; Galilée prend sa lunette. Il découvre les cratères lunaires, les anneaux de Saturnes, il regarde lui même, sans préjugé, sans savoir ce qu’il découvrira. Il doute. Il doute et il crée de la connaissance.

Faire du doute une énergie créatrice, celle qui fait pousser la porte de l’inconnu, celle qui déplace les lignes, celle qui fait penser donc, et qui donc fait progresser la société, voilà donc ce que nous nous devons de faire comprendre à nos jeunes chercheurs. La mission apparaît parfois comme paradoxale. Elle engage aussi leur réussite professionnelle, qu’ils soient par la suite amenés à travailler dans un laboratoire de recherche du secteur privé, qu’ils bifurquent vers d’autres missions, qu’ils enseignent dans le second degré ou dans le supérieur. Ils auront aussi, où qu’ils soient, la possibilité de diffuser cette culture de la réflexion et du doute dans toute la société, jusqu’au zinc du bistrot dont je parlais à l’instant.

Je le sais, d’un secteur à l’autre la fonction d’un doctorat n’a pas toujours été pensée de la même manière. D’aucuns peuvent encore penser que rédiger une thèse sur l’imaginaire urbain du roman feuilleton du 19e siècle ou sur de nouveaux types de géométrie dans la théorie des cordes, sur les pratiques funéraires des sans papiers mexicains au Texas ou sur les lois de conservation et plongements isométriques généralisés, n’a foncièrement rien à voir. Leur prise sur le présent, la dynamique même qui sous-tend ces travaux seraient tellement différentes que de fait un doctorat de lettres et sciences humaines ou un doctorat de sciences ne relèverait pas du même geste intellectuel et ne saurait être soumis aux mêmes protocoles. Il est bien difficile ou peut-être périlleux de chercher à placer tout le monde dans le même moule du doctorat.

On ne peut certes nier les différences importantes de la recherche d’un secteur à l’autre. Les nombreux échanges que j’ai depuis l’année dernière avec des acteurs de tous les secteurs de notre établissement m’ont permis de prendre la mesure de ces différences. Un chercheur n’atteint pas l’apogée de sa créativité au même âge en sciences et en lettres ou en sciences humaines. Les temporalités de la recherche sont très différentes, la nature même des objets est différente. Et pourtant, dans tous les cas, il s’agit bien de faire la carte de l’existant, de tenter autant que faire se peut de se situer dans le cercle herméneutique de la pensée et de déplacer les lignes de la connaissance, pour identifier de nouveaux objets, de nouveaux protocoles qui viendront finalement élargir encore le périmètre de la connaissance et de la réalité.

Je pourrais, j’aimerais pouvoir échanger plus avant avec vous sur ces différences et ces similitudes. Qu’est-ce que ceci veut dire d’identifier de nouveaux objets selon que l’on est sociologue ou biologiste, mathématicien ou spécialiste de littérature américaine, physicien ou historien ? En quoi l’identification d’une molécule et de ses modalités d’interaction avec une autre molécule a-t-elle à voir avec la décision de consacrer une thèse à tel ou tel écrivain qui n’a pas encore été consacré par la recherche ? Dans les deux cas, on isole des phénomènes, des objets, des pratiques. Dans les deux cas on ne se contente pas de les décrire, mais on agit, de manière parfois imperceptible, sur la réalité, dans laquelle ils sont pris, qu’ils contribuent à façonner et que la recherche nous permet ainsi de mieux comprendre.

Peut-être devrions-nous nous interroger plus souvent sur ce qui nous rapproche, par-delà nos différences ? Les rencontres doctoriales organisées à cette fin tous les ans sont là pour nous faire penser ensemble nos différences et nos cousinages.

Pourquoi ce long préambule ? Pour rappeler fortement que finalement la thèse, quel que soit son domaine, nous dote de cet outil si précieux : un esprit critique capable de repenser ses propres présupposés. Cet outil, je le disais, servira à nos doctorants qu’ils soient employés dans le domaine du conseil, du R & D, de la recherche fondamentale… Et c’est bien cette qualité même qui doit être valorisée dans la société dans son ensemble.

Je ne reviendrai pas sur ce qui fait à mes yeux et aux yeux de beaucoup la grande faiblesse du système des « grandes » écoles : leur déconnection de la recherche, leur propension frileuse à la reproduction des savoirs, leur crainte du doute.

Pierre Bourdieu en a fait le diagnostic cuisant il y a maintenant longtemps : le système éducatif français entérine, par le biais des concours, la reconduction des élites et une forme d’oligarchie héréditaire. Nous le savons, les concours sanctionnent la maîtrise de savoirs parfois figés et de savoirs faire qui laissent peu de place au doute, à l’expérimentation personnelle – ce que n’est pas une épreuve de travaux pratiques traditionnelle –, à la culture de l’incertitude. On objectera que la critique n’est pas nouvelle. Je reprends ici des arguments maintes fois répétés. On objectera que les écoles ont depuis longtemps maintenant réagi en accolant des laboratoires de recherche à leurs campus, ou des options de recherche à leurs cursus. C’est vrai, mais ces manifestations de recherche restent bien souvent au statut d’option. Pour l’essentiel, la conclusion reste la même : une grande partie de nos élites, en France et en France seulement, est étrangère au doctorat. L’effort des écoles à intégrer une activité de recherche, certes louable, n’a pas encore porté suffisamment ses fruits pour permettre que dans notre société, « les docteurs soient partout », pour reprendre les mots de la ministre. Chez nos cadres dirigeants le taux de docteurs est faible, un peu comme s’il existait chez nous, en 2010, une forme contemporaine et très française du rouge et du noir.

Pour faire bouger les lignes, beaucoup de travail nous attend. Améliorer la formation de nos docteurs et la qualité du doctorat, c’est-àdire convaincre, cesser de penser que le doctorat forme des chercheurs, comme si ce diplôme n’était qu’une étape d’une auto-reproduction du système de recherche en vase clos. Non, les docteurs ne sont pas tous destinés à intégrer le dispositif de l’enseignement supérieur et de recherche en France. Oui, il faut se réjouir lorsque des docteurs partent dans les entreprises françaises, cela va sans dire.

La thèse donne cette capacité à penser hors des sentiers jalonnés, et ce quelque soit ces sentiers. Car le travail de thèse, avant même d’entreprendre un approfondissement sur un problème scientifique précis, permet un approfondissement sur soi même. La thèse apporte une capacité à faire face à la complexité. Dans un monde luimême toujours plus complexe, cette capacité à nous confronter à l’inconnu, voire cette passion pour l’inconnu devient une qualité toujours plus précieuse. Voilà pourquoi je dis qu’il est de notre devoir de replacer le doctorat au coeur du dispositif de formation de ces élites, de prouver que cette formation, la plus sophistiquée et avancée qui soit, est la seule désormais adaptée à la société qui vient, cette société si souvent définie comme la société de la connaissance.

Nous le savons, en France la concurrence des formations non doctorantes est rude, parce qu’elles opèrent une sélection en amont qui détourne les étudiants des études doctorales. Le défi est donc à la mesure de cette concurrence. Nous devons donc faire en sorte que nos doctorants soient formés de la plus belle, de la plus inventive des manières.

Déjà, grâce au Centre de Formation des Doctorants à l’Insertion Professionnelle (le CFDIP), nous avons mis en place un dispositif par lequel nous diversifions la formation des doctorants en leur permettant de se frotter à d’autres disciplines, mais aussi de compléter leur formation disciplinaire propre, en leur permettant aussi de se familiariser avec le monde de l’entreprise. Une fois encore, il ne s’agit pas de fournir des cadres, des ingénieurs, clés en mains, mais bien d’assurer à nos étudiants qu’ils pourront valoriser leurs compétences uniques dans un monde économique qui leur reste encore trop fermé. Je tiens ici à féliciter et à remercier très chaleureusement Thomas Coudreau, Marie- Jeanne Rossignol et Laure Bonnaud pour leur action si déterminée dans la mise en place du CFDIP qui fait désormais référence tant dans le PRES Sorbonne Paris Cité qu’au-delà. Je tiens à remercier également Nadia Ksantini, Jedjigua Aguini, Barbara Leon, pour leur travail si important au sein du CFDIP. Sara Thornton, notre collègue angliciste est venue renforcer le dispositif et je l’en remercie aussi. Ce sont des doctorants de tous les établissements du PRES qui sont ainsi amenés à profiter des formations, cette échelle de travail (celle du PRES) a permis de monter un catalogue de formations très ambitieuses. Je peux vous dire que la mise en oeuvre du CFDIP à l’échelle du PRES, dans un délai aussi court, a forcé l’admiration de pas mal de monde à travers Sorbonne Paris Cité. Je peux aussi vous dire que le CFDIP a, à lui tout seul, montré à beaucoup de monde le succès du PRES Sorbonne Paris Cité.

Quand je dis que le meilleur passeport qui soit reste l’excellence de la thèse, quand je dis que le doctorat est la forme moderne la plus élaborée de professionnalisation dans un monde contemporain en mouvement, quand je dis aussi que le doctorat est la formation la plus haut de gamme de notre établissement, cela implique que nous avons ici une responsabilité, nous, c’est-à-dire les directrices et directeurs de recherche, mais aussi l’établissement dans son ensemble.

Je ne parle pas ici seulement de la responsabilité qui est la nôtre d’accompagner nos doctorants avec conscience et exigence. Je parle d’une forme d’éthique de la direction de recherche. Nous pensons tous savoir en quoi cette éthique consiste. Elle nous vient comme naturellement, de manière empirique et nous refusons de penser que cette pratique elle-même est susceptible d’être nourrie, repensée, enrichie aussi par la confrontation entre pratiques disciplinaires. Ce séminaire est en cela une occasion peut-être de nous faire progresser collectivement. Je remercie chaleureusement Christine Chomienne, Gaëlle Le Camus, Malaurie Lebhar pour l’organisation de ces deux journées de réflexion ici à Fontainebleau.

C’est aussi une occasion de nous faire réfléchir collectivement sur un certain nombre d’enjeux à la fois techniques et éthiques une fois encore. Il s’agit de la question de la durée de la thèse, du nombre de doctorants encadrés, de leur financement. Paris Diderot se doit d’être une force de proposition sur ces sujets : je rappelle que l’on délivre entre 400 et 500 thèses par an, et que Paris Diderot ne compte pas moins que la moitié des doctorants du PRES. Cela donne tout de même des responsabilités.

En amont, il s’agit par exemple de nous entendre sur ce que nous attendons d’une Habilitation à Diriger des recherches - HDR. Trop souvent, à mes yeux, les HDR ressemblent à des thèses bis, le jury se contentant d’interroger l’impétrant sur des questions scientifiques, à l’exclusion d’une réflexion critique sur la manière dont le futur directeur encadrera ses jeunes chercheurs, sur la manière dont elle / il pourra orienter les doctorants dans l’espace des thématiques de recherche, sur la manière dont elle / il pourra aussi accompagner une équipe de jeunes chercheurs, leur donner le goût du travail d’équipe, le goût du partage, mais aussi le goût de l’incertitude dont je parlais il y a un instant. L’importance de l’HDR est fondamentale car c’est elle qui est le socle de la qualité de notre formation doctorale. L’ambition de bien former nos doctorants nécessite l’élaboration d’une conscience de ce qu’est un doctorat, cela commence par l’interrogation vigilante des collègues, au moment de l’habilitation à diriger des recherches. Quel meilleur moment pour s’interroger sur nos pratiques ? C’est pourquoi, plutôt que de se limiter à des questions sur les recherches passées ou en cours, je souhaiterais que dans les jurys d’habilitation on interrogeât les candidats sur des cas concrets de profilage de sujets de thèse, sur la définition de l’équilibre entre le risque et la sécurité. Le risque est partie intégrante d’un beau sujet de thèse. Le risque, c’est cette part d’inconnu nécessaire pour laisser toute sa chance à un doctorant de s’exprimer, de s’épanouir. Je souhaiterais que l’on interrogeât encore les candidats à l’HDR sur l’équilibre subtil entre un encadrement confortable pour le doctorant et une liberté et une responsabilité du doctorant devant son travail. Sur ce thème, que de différences de comportements d’un directeur de thèse à l’autre ! Je souhaiterais aussi que le rapport de soutenance des HDR se focalise précisément sur ces questions politiques. Pour tout cela, il faudrait peut être commencer par établir une charte des habilitations à diriger des recherches, en même temps que l’on s’interroge sur le renouvellement de la charte des thèses. Une charte des HDR, c’est une première idée.

Le nombre de doctorants encadrés va nécessairement conditionner la qualité de leur encadrement. Je sais que je touche ici à une question difficile et sur laquelle les cultures sont très diverses. Nous aurons l’occasion de confronter nos points de vue et nos expériences. Il est temps donc de poser la question sans détour : doit-on fixer une limite au nombre de doctorants encadrés, nombre limite au-delà duquel l’accompagnement ne pourra pas être de même qualité : 3 dans le domaine des sciences, par exemple, 6 dans celui des Lettres et Sciences Humaines ? Certaines ED le font déjà, mais pas toutes. Ne faut-il pas réfléchir à l’établissement d’une règle au niveau de l’université ou de Sorbonne Paris Cité ? Par ailleurs, pour rompre avec cette pratique en face à face qui lie le doctorant et son directeur, ne pourrait-on penser à la mise en place d’un entretien annuel entre le directeur de l’ED et le doctorant, ce qui se pratique dans beaucoup d’ED mais, là encore, pas partout. Cet entretien viserait à détecter très tôt les thésards qui s’égarent. Pourrait-on aussi imaginer une mini-soutenance à mi-parcours pour voir comment le travail progresse ? Dans tous les cas, la question est de savoir comment introduire une forme de collégialité dans l’accompagnement des thésards. A ce titre, le rôle des ED est fondamental, tout comme celui de la charte des thèses qui ne doit pas être qu’un simple morceau de papier que l’on signe au moment de l’inscription, mais qui au final n’engagent réellement personne.

Plus importante encore est la question, bien sûr, de la rémunération des doctorants. Nous le savons, il existe au fond deux sortes de doctorants. Ceux qui font une thèse en étant rémunéré pour ce travail (bourses de l’établissement, du CEA, de l’Europe, de divers organismes,…), et ceux qui ont par ailleurs un travail et qui font une thèse en parallèle. Les premiers sont des salariés à part entière, les seconds sont en quelque sorte des étudiants. Un collègue du second degré qui souhaite faire une thèse d’histoire doit pouvoir le faire, quand bien même elle ou il a peu de chance de rédiger sa thèse en 3 ans. Il est important de laisser cette possibilité ouverte. Il s’agit en quelque sorte ici d’une forme de formation continue et c’est aussi la mission d’une université que de maintenir le lien entre la recherche et la formation continue par la recherche.

Toutefois la disparité des statuts des doctorants ne laisse pas de poser des questions complexes. Qu’est-ce qui doit distinguer dans nos pratiques d’encadrement et nos exigences un enseignant ou tout autre personne ayant un travail rémunéré par ailleurs et un doctorant qui se voit contraint de trouver un emploi — parfois très mal rémunéré et souvent précaire — pour financer sa thèse ? Où est la différence, je veux dire la frontière, entre un salarié qui décide de faire une thèse, par passion ou par vocation, et un doctorant qui doit se salarier pour pouvoir financer sa thèse ? Peut-on toujours se laver les mains de la question des rémunérations des doctorants, de leur situation parfois précaire ? Il s’agit là d’un chantier complexe, qui dépend énormément de la discipline concernée. Ce chantier est ouvert, à nous de nous en saisir, et en tout cas, nous devons être clairs avec nous mêmes et avec nos doctorants. Trop souvent la précarité est cachée sous un voile de négligence ou d’ignorance feinte de la part de l’université et de nos collègues.

Dans le cas des doctorants allocataires, qui, en principe, ont des situations stables et relativement confortables, comment nous assurer que tel ou tel directeur de thèse ne sera pas tenté de faire se prolonger la rédaction au-delà de la limite du contrat ? C’est toujours tentant de garder un doctorant le plus longtemps possible. On le sait, prolonger la thèse au-delà des trois ans peut se révéler lourd de conséquences et nous placer en infraction au code du travail. Il y a des collègues qui laissent complaisamment se poursuivre des thèses au delà de leur financement, en omettant de prévenir leur doctorants de la longueur de la rédaction, en plaidant que dans leur discipline « une thèse, c’est quatre ans » (j’ai déjà entendu « en sciences du vivant, une thèse, c’est quatre ans », « en mathématiques, une thèse, c’est quatre ans », ou dans d’autres disciplines encore). Ces collègues mettent leurs laboratoires et l’établissement dans des situations juridiques inacceptables, dans des situations morales inacceptables, quel que soient leurs arguments. Mais la situation est encore plus complexe. Je le sais, il peut être parfois difficile d’amener un doctorant à conclure : peur de la page blanche, difficulté à parvenir à une conclusion, difficulté à se dire même que la thèse n’est qu’une étape et pas l’accomplissement d’une vie. En cela, et sans doute plus dans le domaine des Lettres et Sciences Humaines que dans celui des sciences, le souvenir de la thèse d’état reste encore vivace. Cela peut poser des problèmes de conscience. Comment faire en sorte que les doctorants eux même ne placent pas leur employeur, l’université, dans des situations indignes ?

Nous devons donc poursuivre collectivement la réflexion sur cette question difficile de la durée d’un doctorat. Nous pourrions tous revendiquer une spécificité disciplinaire qui nous exonère de respecter la limite impartie : travail d’archives, nécessité de défricher des questionnements encore vierges, nécessité de laisser le temps à la culture, à la manip de faire son oeuvre, etc. Une thèse n’est jamais terminée. On l’abandonne. Je suis pour ma part convaincu que nous devons résister à la tentation de définir des sujets impossibles, que la qualité d’inventivité d’une recherche n’est pas fonction de l’ampleur du sujet, du corpus, de la problématique…

Nous devons peu à peu prendre conscience que nous sommes responsables du respect de règles du jeu qui engagent l’établissement, mais aussi de l’avenir de nos doctorants. La question est donc : comment responsabiliser les directeurs de recherche, comment trouver un juste équilibre entre nos ED et leurs concurrentes moins soucieuses de respecter les règles du jeu ; comment utiliser à bon escient le dispositif des ATER pour permettre à un doctorant de conclure sans l’encourager à repousser toujours la conclusion ; comment responsabiliser aussi les laboratoires ?

Les propos de ce discours paraitront peut être à certains désagréables. Il faut pourtant regarder les choses en face : même si ces comportements sont marginaux, nous sommes conscients que certains directeurs de thèse ont des comportements inacceptables, qu’il s’agisse de défaut d’encadrement, d’exploitation intellectuelle parfois, d’encouragement au travail précaire voire au travail illégal. Ces comportements restent rares. Néanmoins il convient de rappeler qu’ils pourraient relever d’une instance disciplinaire. A nous de construire un ensemble de règles claires, à nous de les appliquer, il y a là incontestablement l’un des chantiers les plus importants de l’université et qui engage son avenir, son impact dans la société, à travers son diplôme phare : le doctorat.

Une fois encore nous progresserons sur ces questions en croisant nos expériences, en travaillant collectivement, par le biais d’un Comité Paritaire Doctoral par exemple qui pourrait être amené à étudier le cas des étudiants qui dépassent la limite de leur contrat, les cas de conflit divers et variés. Ce comité comprendrait pour moitié des enseignants chercheurs habilités à diriger des recherches et pour moitié des doctorants, il serait habilité à saisir le Conseil d’Administration. Je propose ici cette idée, j’espère que nous aurons l’occasion d’en débattre dans le cadre de l’Institut des Ecoles Doctorales, puis au Comité Technique Paritaire de l’établissement, puis dans les autres instances : CEVU, CS, CA. La question des doctorants et de leurs conditions de travail et de rémunération est en effet une question centrale, qui doit être portée devant toutes les instances de l’université.

Vous le voyez le chantier est vaste. Il est aussi exaltant car peu de domaines engagent autant l’avenir de la recherche, mais aussi la crédibilité et le rayonnement citoyen de l’université que celui des études doctorales.

Merci.