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Le doctorat Cifre, un vecteur d’innovation dans les territoires

La société française est confrontée à de nouveaux défis : révolution numérique, changement climatique, terrorisme, croissance des inégalités et déclassement social…Pour faire face à ces défis, les décideurs publics aux niveaux national, régional et local doivent entrer dans une démarche d’innovation permanente. Or les institutions et les méthodes traditionnelles sont souvent inadaptées pour suivre la rapidité des mutations en cours.

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Pour adapter la décision publique à ce contexte évolutif, il est important de l’irriguer par une recherche scientifique interdisciplinaire, et de favoriser les partenariats entre chercheurs et décideurs publics.

En parallèle du lancement du projet « Mobiliser les doctorants pour les collectivités territoriales et les services publics » par heSam Université, dont l’ABG est partenaire, le témoignage qui suit montre concrètement comment un doctorant en sociologie, Boris Chevrot, a pu faire évoluer la vie d’une communauté de communes en milieu rural. Son exemple pourra certainement inspirer d’autres responsables locaux et d’autres doctorants…

 

Un chercheur sachant aider

Boris ChevrotC’est sans doute en raison de son engagement associatif (sportif, culturel, humanitaire) que Boris Chevrot a la conviction du terrain : alors que son sujet de thèse aurait pu se cantonner à une approche théorique, ce jeune doctorant conventionné Cifre a voulu donner très tôt un tournant concret à ses études de sociologie, en œuvrant au sein de structures actives à l’échelle locale. Son exemple invite les étudiants en sciences humaines à devenir porteurs de leur projet professionnel, et montre que les collectivités territoriales sont un vivier d’embauches pour les doctorants et docteurs.

 

Bonjour Boris. L’idée du doctorat est-il un projet de longue date, ou vous est-elle venue au contact du terrain ? 

Boris Chevrot : « Même si j’ai fait le choix délibéré de l’opérationnel en m’orientant vers un master professionnel "Sociologie appliquée au développement local", je savais que je ferais une thèse ensuite. Avant tout par intérêt personnel car j’aime apprendre, mais aussi dans le but d’atteindre un équilibre entre travail de terrain et réflexivité théorique. Dans le social et la sociologie, on a tendance à être, soit le nez dans le guidon et manquer de recul sur ses actions, soit enfermé dans une tour d’ivoire et trop éloigné des réalités du terrain. J’ai saisi l’opportunité du terrain dès que possible en rejoignant, en tant que salarié, une structure d’insertion par l’activité économique, l’association Centrale 71, dans le cadre de ma recherche de Master 1. J’ai ensuite réalisé un stage de 6 mois à la Communauté de Communes du Clunisois où il s’agissait de mettre en place un service de transport à la demande, et d’en tirer une analyse sociologique » 

 

Quel était le sujet de votre thèse, et quels résultats avez-vous obtenus ?

BC : « Mon travail doctoral a porté sur le traitement public de l’exclusion des personnes en milieu rural. J’ai mené ma thèse dans la Communauté de Communes du Clunisois, avec le centre Max Weber de l’Université Lyon 2. Un des apports majeurs est probablement d’avoir aidé le développement du Relais de service public (RSP) : les élus m’ont exposé dès le départ la problématique, qui était que la fréquentation de ce lieu ne décollait pas. Cela n’a pas toujours été simple et au début j’avais certains a priori sur ce que devaient être ou non mes missions : j’étais dans cette drôle de situation où personne ne venait mais je devais refuser du monde. Puis j’ai commencé à jouer le jeu de la demande, et à aider des personnes qui ont à leur tour fait la promotion de la structure et de ses services. Entre l’année 2013 et l’année 2016, nous avons reçu 30 % de personnes supplémentaires, et doublé le nombre d’entretiens ainsi que les demandes traitées. Ma thèse a aussi permis de faire entrer de nouvelles approches au sein du RSP : avec La 27e région, nous avons mené des expériences originales (entretiens de visu plutôt que par téléphone pour des démarches administratives, jeu inspiré du Time’s Up…) pour créer davantage de lien au niveau intercommunal. » 

 

Vous avez fait le choix d’une thèse en convention Cifre. Pourquoi ?

BC : « C’est Jean-Luc Delpeuch, le Président de la communauté de communes du Clunisois [ndlr : également Président de la COMUE heSam Université], qui m’a suggéré de vérifier si la Cifre pouvait s’appliquer dans les collectivités. Ce qui me parait le plus intéressant avec ce dispositif est de monter soi-même son projet, plutôt que de répondre à des demandes existantes. C’est comme cela qu’un doctorant peut réellement choisir son terrain de recherche, sa problématique, et ses méthodes. Il me semble que les collectivités rurales pourraient embaucher davantage de chercheurs opérationnels. Sachant qu’elles sont constamment en recherche de contrats aidés, du fait de la faiblesse de leurs moyens, elles auraient sans doute un fort intérêt pour le dispositif Cifre si elles en avaient meilleure connaissance. La plupart n’ont pas en tête qu’elles peuvent avoir un diplômé Bac + 5 pour une fraction de ce qu’il coûte réellement ; de plus, un doctorant sera souvent capable d’aller chercher des sources de financement complémentaires. »

 

Comment se déroule votre travail actuel ?

BC : « Je suis maintenant médiateur au sein de la Maison de services au public, la structure qui a succédé au Relais de service public de la communauté de communes du Clunisois. J’anime une équipe de cinq personnes au total, avec deux médiateurs, dont moi. Mon travail est très polyvalent au quotidien : des personnes en difficulté sociale ou en situation d’isolement nous sollicitent pour des raisons variées, qui vont de l’accompagnement dans les tâches administratives, du conseil pour l’insertion professionnelle au dépannage informatique. Je fais souvent le parallèle entre mon métier et celui du médecin de campagne qui oriente les patients vers les spécialistes. Il m’arrive donc de servir de relais avec une assistante sociale, un technicien de la caisse d’allocations familiales, un conseiller Pôle emploi... L’écriture et la relecture de ma thèse se font en parallèle. »

 

Quelle plus-value voyez-vous au doctorat dans votre métier de médiateur ?

BC : « Ma casquette de sociologue m’a permis de faire des choses que je n’aurais pas forcément faites en tant que travailleur social qui doit respecter un cadre, et de sortir des clous pour répondre à des situations urgentes. Par exemple, pour reloger des personnes en situation précaire mais qui m’avaient sollicité pour tout autre chose, comme l’inspection de leur jardin. 
Il m’arrive d’être sollicité par les habitants sur des sujets quelque peu en décalage avec mes missions. Entre autres, on a pu me demander au cours de ma jeune carrière de configurer une imprimante, d’aider à s’inscrire sur des sites de rencontres amoureuses, et même d’écrire une lettre à Clint Eastwood. J’ai d’abord cru que ces demandes étaient complètement hors sujet, avant de comprendre qu’elles cachaient de véritables situations d’exclusion et qu’elles donnaient des moyens pour rompre l’isolement de ces personnes. Derrière la médiation, il y a toujours un travail de traduction. En résumé, mon expérience de doctorant m'a permis de disposer de temps pour prendre du recul, d’échanger avec mes collègues chercheurs, lire, écrire, et surtout ce statut m'a permis d'expérimenter sans avoir les contraintes institutionnelles auxquelles sont rattachées les travailleurs sociaux dans leurs missions.
 »

 

Quels sont, selon vous, les avantages pour des doctorants ou des docteurs à venir travailler dans les collectivités territoriales, en milieu rural en particulier ?

BC : « Les collectivités territoriales sont de véritables laboratoires à ciel ouvert, pleins de données concrètes, de matière intéressante à explorer, et d’expérimentations à conduire. Le bagage professionnel est tout de même important pour se vendre dans les collectivités, qui peuvent être méfiantes vis-à-vis d’un profil trop académique. Un master professionnel ou des expériences dans le milieu associatif peuvent aider en ce sens. Les chercheurs opérationnels sont aussi capables d’intervenir auprès des élus qui intègrent ensuite la théorie à leurs discours : des projets importants peuvent être soutenus par les analyses des docteurs, et contribuer à donner du sens à l’action politique locale. »  

 

A propos de la Maison de services au public de la communauté de communes du Clunisois :
La Maison de services au public (anciennement relais de service public) accompagne les habitants d’un territoire dans leurs démarches quotidiennes. Dans le cadre de la CC du Clunisois, qui compte 45 communes dont 44 avec moins de 800 habitants (200 habitants en moyenne), la Maison de services au public a donc un périmètre d’action intercommunal. Elle assure le relais avec les CCAS (Centre Communal d’Action Sociale), en mutualisant les moyens et en faisant coopérer les acteurs.
http://www.enclunisois.com/economie-social/relais-de-service-public/

A propos de la 27ème région :

La 27e Région est un laboratoire qui conduit des programmes de « recherche-action » visant à tester de nouvelles méthodes d’innovation avec les acteurs publics. Elle fait le pari de la pluridisciplinarité en mobilisant des compétences issues du design et de la conception créative, des sciences sociales ou encore des pratiques amateurs (do-it-yourself, éducation populaire, etc.). Ces approches privilégient l’expérience vécue par les utilisateurs, agents et citoyens, comme un point de départ pour réinterroger les politiques publiques.
http://www.la27eregion.fr/

A propos de la COMUE heSam Université :

HeSam Université (hautes écoles Sorbonne arts et métiers) est une ComUE (Communauté d'Universités et d'Etablissements) qui fédère 12 établissements français d’enseignement supérieur, de formation et de recherche en Ile-de-France.