Tour du monde de l'innovation
Bérénice Kimpe
Francis Pisani est chroniqueur indépendant, spécialiste des techniques de l’information et de la communication qu’il a étudiées pendant près de quinze ans dans la Silicon Valley. A son retour en Europe, il se rend compte que le modèle américain n’est pas le seul à favoriser l’émergence d’innovations et décide de faire un tour du monde afin d’en repérer les bonnes pratiques. C’est le début du projet WINCH 5 qui l’amènera à visiter 45 villes dans 32 pays entre septembre 2011 et octobre 2012. Initialement publié sur le blog du Monde, le compte-rendu de ses pérégrinations est désormais consultable sur son blog francispisani.net. Le projet désormais terminé, il s’intéresse à un autre sujet : les villes intelligentes.Depuis Barcelone, il a accepté de répondre à nos questions et nous donne son point de vue international quant à la définition de l’innovation, les caractéristiques des environnements favorisant cette dernière et la plus-value d’une expérience internationale.
Le mot « innovation » s’écrit et se prononce plus ou moins de la même façon dans plusieurs langues : innovation en anglais, Innovation en allemand, inovasyon en turc… Peut-on dire pour autant que la signification de ce mot est la même partout dans le monde ?
J’ai été amené à rencontrer plus de 300 personnes au cours de cette aventure et à chaque fois, je leur ai demandé comment elles définissaient l’innovation. Un jeune Turc l’a définie comme une révolution. Pour un chercheur israélien, c’est la réalisation d’un rêve alors que pour un homme d’affaires australien, elle représente un moyen de gagner beaucoup d’argent. Les personnes que j’ai rencontrées en Afrique ont une vision collectiviste de l’innovation : c’est ce qui doit permettre de faire progresser la société.
Il n’y a donc pas de définition universelle. Et c’est d’autant plus vrai que l’innovation doit répondre à un besoin du marché ou de la société. Or, les caractéristiques des marchés et des sociétés ne sont pas identiques aux quatre coins du monde : les besoins étant différents, les réponses à ces besoins le seront aussi.
Prenons le cas de l’Inde par exemple. Le temps de maturation d’un projet innovant est estimé entre 3 et 5 ans. Du fait de loyers très élevés à Mumbai, accueillir les créateurs d’entreprise dans une structure dédiée reviendrait beaucoup trop cher, ce n’est donc pas envisageable. Pour contourner cet obstacle, des excubateurs ont vu le jour : les entrepreneurs travaillent depuis chez eux mais des réunions hebdomadaires ainsi que des contacts avec des experts qui les aident à développer leur société sont organisés par l’excubateur.
Le cas de l’excubateur soulève le point de l’ouverture vers l’extérieur dans le processus d’innovation. Les environnements dits ouverts sont-ils les plus propices à l’innovation ?
C’est en tout cas un point que l’on retrouve dans tous les cas d’innovation réussie à travers le monde. Cette ouverture est à comprendre à plusieurs niveaux.
Il y a d’une part l’ouverture des espaces. Les personnes doivent avoir des opportunités de se rencontrer pour pouvoir échanger et profiter du phénomène de sérendipité.
C’est d’autre part une ouverture d’esprit et une ouverture culturelle. Ouverture d’esprit car il faut pouvoir accepter l’échec, avoir une certaine tolérance au risque. Pour rappel, Thomas Edison n’a pas échoué, il a simplement trouvé 10.000 solutions qui n’ont pas fonctionné. Si aux USA l’échec est bien accepté, voire célébré (FailCon [1], Heroic Failures Awards[2]), ce n’est pas le cas en Asie où l’échec est stigmatisé.
Enfin, ouverture culturelle parce qu’il faut des personnes originaires de pays différents, la diaspora créative favorisant la circulation des idées et la confrontation des modes de pensée, et parce qu’il faut aussi une diversité de profils. Ingénieurs et docteurs ne sont pas les seuls à pouvoir innover, l’innovation pouvant être d’ordre social : j’ai pu constater que les porteurs de projets innovants étaient aussi des designers, des financiers, des entrepreneurs. Parmi ces derniers, on peut souligner une catégorie particulière, celle des intrapreneurs qui développent leur projet à l’intérieur même de l’entreprise pour laquelle ils travaillent, comme ce fut le cas des post-its chez 3M. Cela n’est rendu possible que par l’attitude ouverte de l’entreprise qui autorise ce genre de démarche.
Les écosystèmes dans lesquels les innovations se portent le mieux sont bel et bien les écosystèmes ouverts. Je ne peux alors que m’interroger sur la position paradoxale des incubateurs : lieu d’innovation, ils peuvent la limiter sans le vouloir dans la mesure où ils protègent les projets de l’extérieur, notamment via la propriété intellectuelle.
L’intervention de l’état peut aussi avoir un effet limitant sur le caractère ouvert de ces écosystèmes, cet effet étant plus ou moins important selon le degré d’interventionnisme. L’exemple russe de Skolkovo [3] en sera une bonne illustration : alors que Medvedev avait affirmé lors d’une de ses interventions qu’il entendait garder un certain contrôle du site du fait de l’investissement massif de l’état russe, les responsables du site tentent de minimiser l’ingérence étatique. Reste à voir dans les faits si le processus d’innovation pourra être complètement efficace.
La question de la mobilité internationale est un thème récurrent chez les doctorants et les docteurs : faut-il partir ou pas ? Si oui, où ? Quels sont vos conseils à ce sujet ?
Une expérience internationale est essentielle et déterminante. En s’exposant à des cultures et des organisations différentes, en vivant des expériences différentes, on est plus enclin à faire des liens entre des choses qui n’ont a priori rien à voir. Et ce qui paraissait évident, finalement, ne le sera plus. Ce changement de contexte et de perspective est idéal pour innover !
Quant au choix de la destination, je serais tenté de dire « partout » ! Une chose est sûre : ne vous focalisez pas uniquement sur les USA, surtout si vous vous intéressez aux TIC : le centre de gravité se déplace vers l’Asie. Pour preuve le rachat de l’application WhatsApp par Facebook en début d’année : le géant américain n’est certes pas passé à côté du potentiel de la messagerie instantanée mais c’est en Asie que ce phénomène a pris forme, bien avant le reste du monde.
Bref, soyez attentif à tout ce qui vous entoure car c’est de l’extérieur que vous viendra l’inspiration.
1 - Conférences dans lesquelles les intervenants parlent de leurs échecs et surtout des enseignements qu'ils en ont retiré pour mieux réussir par la suite.
2 - Prix de l'agence Grey Advertising attribué à des personnes qui n'ont pas réussi à faire aboutir leur projet mais qui ont eu le mérite d'essayer des choses extraordinaires.
3 - Parc technologique en construction ; équivalent russe de la Silicon Valley
J’ai été amené à rencontrer plus de 300 personnes au cours de cette aventure et à chaque fois, je leur ai demandé comment elles définissaient l’innovation. Un jeune Turc l’a définie comme une révolution. Pour un chercheur israélien, c’est la réalisation d’un rêve alors que pour un homme d’affaires australien, elle représente un moyen de gagner beaucoup d’argent. Les personnes que j’ai rencontrées en Afrique ont une vision collectiviste de l’innovation : c’est ce qui doit permettre de faire progresser la société.
Il n’y a donc pas de définition universelle. Et c’est d’autant plus vrai que l’innovation doit répondre à un besoin du marché ou de la société. Or, les caractéristiques des marchés et des sociétés ne sont pas identiques aux quatre coins du monde : les besoins étant différents, les réponses à ces besoins le seront aussi.
Prenons le cas de l’Inde par exemple. Le temps de maturation d’un projet innovant est estimé entre 3 et 5 ans. Du fait de loyers très élevés à Mumbai, accueillir les créateurs d’entreprise dans une structure dédiée reviendrait beaucoup trop cher, ce n’est donc pas envisageable. Pour contourner cet obstacle, des excubateurs ont vu le jour : les entrepreneurs travaillent depuis chez eux mais des réunions hebdomadaires ainsi que des contacts avec des experts qui les aident à développer leur société sont organisés par l’excubateur.
Le cas de l’excubateur soulève le point de l’ouverture vers l’extérieur dans le processus d’innovation. Les environnements dits ouverts sont-ils les plus propices à l’innovation ?
C’est en tout cas un point que l’on retrouve dans tous les cas d’innovation réussie à travers le monde. Cette ouverture est à comprendre à plusieurs niveaux.
Il y a d’une part l’ouverture des espaces. Les personnes doivent avoir des opportunités de se rencontrer pour pouvoir échanger et profiter du phénomène de sérendipité.
C’est d’autre part une ouverture d’esprit et une ouverture culturelle. Ouverture d’esprit car il faut pouvoir accepter l’échec, avoir une certaine tolérance au risque. Pour rappel, Thomas Edison n’a pas échoué, il a simplement trouvé 10.000 solutions qui n’ont pas fonctionné. Si aux USA l’échec est bien accepté, voire célébré (FailCon [1], Heroic Failures Awards[2]), ce n’est pas le cas en Asie où l’échec est stigmatisé.
Enfin, ouverture culturelle parce qu’il faut des personnes originaires de pays différents, la diaspora créative favorisant la circulation des idées et la confrontation des modes de pensée, et parce qu’il faut aussi une diversité de profils. Ingénieurs et docteurs ne sont pas les seuls à pouvoir innover, l’innovation pouvant être d’ordre social : j’ai pu constater que les porteurs de projets innovants étaient aussi des designers, des financiers, des entrepreneurs. Parmi ces derniers, on peut souligner une catégorie particulière, celle des intrapreneurs qui développent leur projet à l’intérieur même de l’entreprise pour laquelle ils travaillent, comme ce fut le cas des post-its chez 3M. Cela n’est rendu possible que par l’attitude ouverte de l’entreprise qui autorise ce genre de démarche.
Les écosystèmes dans lesquels les innovations se portent le mieux sont bel et bien les écosystèmes ouverts. Je ne peux alors que m’interroger sur la position paradoxale des incubateurs : lieu d’innovation, ils peuvent la limiter sans le vouloir dans la mesure où ils protègent les projets de l’extérieur, notamment via la propriété intellectuelle.
L’intervention de l’état peut aussi avoir un effet limitant sur le caractère ouvert de ces écosystèmes, cet effet étant plus ou moins important selon le degré d’interventionnisme. L’exemple russe de Skolkovo [3] en sera une bonne illustration : alors que Medvedev avait affirmé lors d’une de ses interventions qu’il entendait garder un certain contrôle du site du fait de l’investissement massif de l’état russe, les responsables du site tentent de minimiser l’ingérence étatique. Reste à voir dans les faits si le processus d’innovation pourra être complètement efficace.
La question de la mobilité internationale est un thème récurrent chez les doctorants et les docteurs : faut-il partir ou pas ? Si oui, où ? Quels sont vos conseils à ce sujet ?
Une expérience internationale est essentielle et déterminante. En s’exposant à des cultures et des organisations différentes, en vivant des expériences différentes, on est plus enclin à faire des liens entre des choses qui n’ont a priori rien à voir. Et ce qui paraissait évident, finalement, ne le sera plus. Ce changement de contexte et de perspective est idéal pour innover !
Quant au choix de la destination, je serais tenté de dire « partout » ! Une chose est sûre : ne vous focalisez pas uniquement sur les USA, surtout si vous vous intéressez aux TIC : le centre de gravité se déplace vers l’Asie. Pour preuve le rachat de l’application WhatsApp par Facebook en début d’année : le géant américain n’est certes pas passé à côté du potentiel de la messagerie instantanée mais c’est en Asie que ce phénomène a pris forme, bien avant le reste du monde.
Bref, soyez attentif à tout ce qui vous entoure car c’est de l’extérieur que vous viendra l’inspiration.
1 - Conférences dans lesquelles les intervenants parlent de leurs échecs et surtout des enseignements qu'ils en ont retiré pour mieux réussir par la suite.
2 - Prix de l'agence Grey Advertising attribué à des personnes qui n'ont pas réussi à faire aboutir leur projet mais qui ont eu le mérite d'essayer des choses extraordinaires.
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