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Paroles de docteurs : "Comment mon projet professionnel s'est construit petit à petit"

Propos recueillis par Bérénice Kimpe (Responsable Pôle International)

Définir son projet professionnel n'est jamais simple, cela demande du temps, beaucoup d'introspection et du réseau. En voici une illustration grâce à ce témoignage d'une docteure, passée par de nombreuses étapes et interrogations avant de trouver sa voie...

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J’ai le début de parcours typique de l’universitaire qui ne connaît et ne veut connaitre que la recherche académique. Une thèse, un premier postdoctorat aux Etats-Unis, un second en France pour le retour, un oral au concours CR2 puis rien. Même si la science me passionne, j’ai toujours eu au fond de moi le sentiment que ma place n’était pas dans un laboratoire. Mais comme je ne savais pas vers quel métier m’orienter, je continuais à faire ce que je savais faire et j’étais partie pour enchaîner les postdocs. Un « non choix ». Sauf qu’au fil des ans, il me devenait de plus en plus difficile de donner le change et de jouer mon rôle de scientifique passionnée. Cela devenait très couteux en énergie et j’ai fini par admettre que je n’en pouvais plus des postdoctorats, de la paillasse, de la recherche académique en général.

 

Je suis passée par tous les formats pour trouver ma voie : séminaires, conférences, conseillers orientation, APEC, Pole Emploi, programme de mentorat. J’ai fini par comprendre qu’il y avait un autre langage pour dire ce que je savais faire : « gestion de projet », « management » … Mais je ne voyais toujours pas à quoi cela pouvait bien me servir puisque je ne savais pas vers quelle profession me tourner. On me parlait de postes d’enseignant-chercheur, mais je n’aime pas donner des cours et il y a « chercheur » dedans. L’industrie, c’était une autre sphère, un monde à part auquel je ne comprenais rien et que je rejetais par principe. J’avais une vision très dichotomique et romantique, à tendance extrême : d’un côté le chercheur académique désintéressé qui œuvrait pour la Science et le Savoir ; de l’autre l’industriel sans vergogne prêts à tout au nom du profit.

 

En 2015, j’ai eu deux belles opportunités. Tout d’abord, mon mari a obtenu un poste dans la fonction publique territoriale, à 1200 km de distance de mon lieu de résidence. N’ayant aucune suite à donner à mon postdoc, j’ai décidé de le suivre, comme lui l’avait fait précédemment. Il y a eu ensuite la première session des postdoctoriales transfrontalières*. J’étais allée au bout du parcours académique avec le concours CR2, il était hors de question de refaire un postdoctorat : cette fois, j’étais au pied du mur avec, devant moi, le chômage. Je ne pouvais plus me débiner.
 

 

Les postdoctoriales, c’est un huis clos de 4 jours qui a changé ma route. Ce n’était pas du tout ce à quoi je m’attendais : c’était beaucoup mieux. Dans un climat de bienveillance, d’ouverture, d’écoute et sans jugement, nous avons été amenés à savoir ce qui était important pour nous, quelles étaient nos valeurs, ce que nous aimions (ou pas) réellement dans nos activités professionnelles. Je pensais recevoir une liste à cocher, avec des options de carrière en fonction des diplômes, mais ça n’aurait servi à rien en réalité, puisque le but était de savoir non pas ce que nous pouvions faire, mais ce que nous voulions faire, au fond de nous. Le fait d’être loin de son quotidien est essentiel car cela permet de se recentrer sur soi. On enlève des couches sociales. Plus de « je dois faire ça parce que mes parents pensent ceci ou cela, parce que mes amis le font, parce que dans mon système de croyance je suis telle ou telle personne ».
 

De retour chez moi, j’ai ouvert les écoutilles : deux semaines plus tard, on m’a parlé d’une postdoctorante qui avait arrêté la recherche et qui faisait de l’illustration scientifique. J’ai été retournée. C’était une évidence, c’était ça que je devais faire ! J’avais en effet hésité entre les Beaux-Arts et la Science. Passionnée d’infographie, j’étais particulièrement heureuse pendant ma thèse et mes postdocs dès qu’il fallait faire des posters, des schémas, des graphiques, des illustrations. A tel point qu’en fin de postdoctorat, je ne faisais des manips que pour pouvoir en faire des schémas !

 

J’ai donc utilisé mes 2 ans de chômage pour lancer mon entreprise d’illustration scientifique. Je l’ai fait au sein d’une coopérative d’activité pour éviter de me jeter dans le grand bain tout de suite. C’est une sorte de portage salarial avec un soutien important. La coopérative prête son numéro SIRET au porteur de projet, s’occupe de sa comptabilité, le salarie sur la base du chiffre d’affaires qu’il fait, le forme à l’auto-entreprenariat (marketing, comptabilité, planification…). Cela permet aussi de ne pas être tout seul chez soi à se morfondre quand il y a des bas. Je me suis fait un réseau, des amis, je me suis éclatée. J’ai un peu travaillé. Pas assez. Je sais pourquoi mais je n’ai pas l’intention de changer quoi que ce soit : j’ai fait exactement ce que je voulais, comme je le voulais. Si ça ne marche pas, alors je ferai de l’illustration en parallèle d’un autre emploi.

Donc retour à la case départ : quel emploi ?

Je me suis replongée dans les documents des postdoctoriales, j’ai repensé à mes discussions avec ma directrice de thèse qui m’expliquait qu’en industrie le chercheur coordonne et que ce sont des techniciens qui font les expériences, qu’il y a des moyens et qu’on ne s’acharne pas indéfiniment si le sujet ne marche pas. A ce moment je ne pouvais plus approcher une pipette et l’idée d’y retourner m’était devenue insupportable. Je vivais l’échec expérimental au quotidien non plus comme un pas vers la réussite mais juste comme une sanction. Mais le travail d’équipe et le processus de réflexion me manquaient. C’est à ce moment que je me suis dit qu’il fallait peut-être envisager la R&D.

 

Je suis tombée sur une annonce pour un poste proposé par une PME de ma région. Moi qui pensais que je ne trouverais jamais une entreprise au sein de laquelle mes valeurs ne seraient pas bafouées, je me suis bien trompée. Au second entretien la consultante du cabinet de recrutement m’a demandé de parler de mes valeurs. Elle a immédiatement senti que je correspondais au profil de l’entreprise. Ces mêmes valeurs dont j’ai longuement parlé au cours du dernier entretien avec le président et le directeur ont apparemment fait pencher la balance dans mon intérêt. Elles ont compensé l’absence d’expérience en R&D et même le manque de connaissances dans le domaine de l’entreprise. On m’a donc proposé le poste sous réserve que je suive une formation, ce que je me suis empressée d’accepter.

Finalement, dans ce poste de responsable R&D, je ne fais que ce que j’aime dans la science : plus de manips, plus de projets interminables voués à l’échec, mais des applications concrètes, des moyens et surtout, je crois à ce que je fais. C’est à mille lieues de ce que je pensais quand j’ai commencé la recherche.

 

Témoignage d'une personne qui souhaite garder l'anonymat

 

*Les postdoctoriales transfrontalières sont organisées par l’ABG depuis 2015 en partenariat avec l’UFA, le FNR et les organismes de recherche luxembourgeois (LIH, LIST et Université de Luxembourg). L’objectif est d’accompagner les chercheurs contractuels dans leur transition hors secteur académique en leur permettant de faire le point sur leurs compétences et leur projet professionnel, d’envisager de nouvelles perspectives de carrière et de communiquer efficacement auprès des recruteurs.

 

Crédits photographie en-tête :
Jeff Sheldon @ugmonk www.unsplash.com

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