Rituels, comment le Petit Prince nous aide à bien vivre le confinement
A l’attention des doctorants, chercheurs, encadrants, responsables d’équipe et managers : de l’intérêt des rituels pour souder les équipes.
Depuis quelques jours, notre organisation et notre rythme de vie ont été bouleversés, nous avons perdu certains de nos points de repères. Après nous être rapidement adaptés aux nouvelles exigences, l’enjeu est de tenir sur le long terme.
Par Sophie Pellegrin, PhD - Responsable du pôle Formations Innovantes et Accompagnement @ABG
Crédits photographiques : Kiki Fernandez, série "O pequeno principe"
Beaucoup des questions qui nous préoccupent actuellement ont d’ailleurs trait au temps. Combien de temps cette situation va-t-elle durer ? Quel retard nos projets vont-ils prendre ? Que faire de ce temps dont nous disposons soudainement ? Le temps du travail, le temps personnel, le temps des enfants, le temps familial se superposent sans structure et sans limites claires. Le risque c’est que toutes les heures et toutes les journées se ressemblent, chacune constituée d’un petit peu tout ce qui fait notre quotidien.
Pour faire face à cette dissolution des temps les uns dans les autres et nous aider à tenir dans la durée, les rituels nous seront précieux. Ils structurent le temps, et les grands explorateurs ou les navigateurs en solitaire en connaissent toute l’importance pour aller au bout de leurs exploits1.
Des rituels pour structurer le temps...
Structurer le temps est l’un des besoins fondamentaux de l’être humain2. Ainsi, un jeune enfant dont la vie n’est rythmée par aucune régularité, dont chaque journée est différente des précédentes risque de développer une anxiété durable. Les parents le savent, pour le développement harmonieux de leurs enfants, il est essentiel d’instaurer des rituels. L’un des plus fameux est sans doute l’histoire avant de dormir. Nombre de petits poussent le rituel jusqu’à réclamer chaque soir la même histoire !
Devenus adultes, les rituels continuent à jalonner notre vie : les croissants chauds du dimanche matin, le thé de 17h, le dîner en famille ; les bisous des enfants avant de partir travailler et leurs petites mains qui s’agitent derrière la fenêtre ; le tour des bureaux pour saluer nos collègues en arrivant, les discussions autour de la machine à café ; le cours de yoga, de judo, de chant… Le travail lui-même est parfois ritualisé comme le décrit François Jacob :
« Avec les bactéries et leurs virus, sur lesquels je travaillais, on préparait une expérience le matin. On la réalisait l’après-midi. Le résultat, on l’avait le lendemain matin. Juste à temps pour préparer une nouvelle expérience qu’on exécutait dans la journée et ainsi de suite. »3
Pour mesurer toute la richesse des rituels, il est important d’aller plus loin que les simples habitudes auxquelles ils peuvent ressembler de prime abord. Comme l’explique le renard au Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry, un rituel4
"C’est ce qui fait qu’un jour est différent des autres jours, une heure, des autres heures."
Les rituels donnent donc une identité particulière aux jours et aux heures qui les accueillent, ils constituent des points de repère.
... ancrer des sensations positives
Les rituels structurent le temps mais pas seulement, ils nous aident également à nous mettre dans un certain état d’esprit : bien-être, confiance, action, concentration... Les sportifs connaissent bien ce phénomène, nous les voyons souvent répéter les mêmes gestes avant le départ d’une course, un service ou un tir selon leur spécialité. Nous pourrions penser qu’ils ont des tics. En réalité, par ce geste, ils font revivre des sensations propices à leur réussite. A notre modeste mesure, dans notre quotidien de confinés, le fait de nous habiller le matin comme si nous allions au bureau ou au labo sera propice à notre mise en action par exemple.
... et consolider nos liens sociaux
Enfin, les rituels structurent aussi nos liens sociaux et leur donnent de la force. Comme le dit joliment le renard au Petit Prince qui revient le voir le lendemain de leur première rencontre :
« Il eût mieux valu revenir à la même heure […]. Si tu viens, par exemple, à quatre heures de l’après-midi, dès trois heures je commencerai d’être heureux. Plus l’heure avancera, plus je me sentirai heureux.
A quatre heures, déjà, je m’agiterai et m’inquiéterai ; je découvrirai le prix du bonheur ! Mais si tu viens n’importe quand, je ne saurai jamais à quelle heure m’habiller le cœur… »5
C’est cette ritualisation de leurs rencontres qui permettra au Petit Prince d’apprivoiser le renard.
Les règles de prévention sanitaires en vigueur viennent aussi mettre à mal nos liens sociaux. Nous nous trouvons coupés les uns des autres, tenus à distance. Les responsables d’équipe et les managers le savent, une équipe existe quand elle se réunit et qu’elle partage des rituels. Avec l’éloignement, maintenir une vie d’équipe devient un enjeu particulier et là encore, les rituels vont nous aider à recréer des liens.
concrètement, comment faire ?
L’objectif est, d’une part, de sanctuariser les rituels qui peuvent l’être, ceux qui nous font du bien, qui nous mettent dans un état d’esprit positif ; d’autre part d’en créer de nouveaux. Ces nouveaux rituels nous permettront de structurer nos journées, de marquer le début et la fin des différents temps. Ils peuvent aussi être l’occasion d’instaurer des rendez-vous avec soi pour faire ce que nous n’avons pas (assez) le temps de faire d’habitude : méditer, peindre, lire, faire de l’exercice…
Les nouveaux rituels ré-inventeront également nos liens avec les autres, notre manière d’interagir, de travailler ensemble. Il est important que toutes les sensibilités puissent être prises en compte lors de cette recréation. Si vous êtes encadrant, responsable d’équipe, manager, vous avez des attentes, des préférences. Il est essentiel de vous assurer que ce que vous mettez en place satisfait les besoins de chacun, au risque sinon de créer un sentiment d’isolement plus profond encore. Et au-delà des interactions collectives, conserver du lien avec chacun individuellement est également d’une grande importance.
Quand la situation reviendra à la normale, nous retrouverons avec plaisir certains de nos anciens rituels. Nous aurons peut-être aussi envie de conserver certains de ceux que nous aurons nouvellement créés. Le confinement n’aura ainsi pas seulement été une épreuve à traverser mais aussi une opportunité de ré-inventer notre manière de vivre.
Et vous...
- Quels sont les rituels qui vous font du bien et qu’il est important que vous conserviez ?
- Quels sont les rituels que vous avez perdus et qui vous manquent ? Que vous apportaient-ils ? Que pourriez-vous instaurer à la place ?
- Avez-vous créé de nouveaux rituels ? Que vous permettent-ils ? Que pourriez-vous faire (d’autre) ?
- Si vous êtes chercheur dans les domaines des Sciences Humaines et Sociales, vous avez probablement l’expérience du travail chez soi, de manière relativement isolée. Quels rituels avez-vous instaurés ? Quels conseils pouvez-vous donner à des collègues d’autres disciplines ?
Venez nous retrouver et partagez votre expérience, vos conseils sur :
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1 - https://www.franceinter.fr/emissions/grand-bien-vous-fasse/grand-bien-vous-fasse-21-mars-2020
2 - Dr Eric Berne, Que dites-vous après avoir dit bonjour ?, Tchou (2006).
3 - François Jacob, La statue intérieure, Odile Jacob (1987).
4 - Antoine de Saint-Exupéry utilise le terme de rite.
5 - Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince, Gallimard (1999).
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