Paroles de docteur : Hélène GODIN, docteure en études cinématographiques, devenue ingénieure pédagogique
Hélène Godin est docteure en Arts du spectacle et études cinématographiques. À la suite de son doctorat, elle a intégré récemment le Campus des Métiers et des Qualifications Informatique et Electronique de Demain Auvergne Rhône-Alpes, en tant qu'ingénieure pédagogique. Découvrez dans cet entretien, son parcours, la manière dont le doctorat a enrichi ce dernier, ainsi qu'une série de conseils à destination des docteurs (SHS plus particulièrement)...
Auteure : Hélène GODIN, PhD
Je suis Hélène Godin, titulaire depuis Novembre 2023 d’un Doctorat en Lettres et Arts du Spectacle mention Etudes Cinématographiques, délivré par l'Université Grenoble Alpes. Depuis le 1er février 2024, j’exerce les fonctions d’ingénieure pédagogique en intelligence artificielle au sein du Campus des Métiers et des Qualifications Informatique et Electronique de Demain (CMQ IED), à Valence.
Parcours
Je témoigne d’un parcours très linéaire, puisque j’ai effectué sans interruption une licence, un master et un doctorat en arts du spectacle à l’Université Grenoble Alpes, entre 2011 et 2023.
Suite à l’obtention de mon doctorat je souhaitais me lancer à plein temps dans les podcasts en réalisant avec mes collègues chercheur·euses des émissions de spécialité sur des thèmes culturels. J’ai eu l’agréable surprise d’être recrutée très vite après ma soutenance de thèse, aussi les podcasts sont restés un loisir. En effet, mon activité actuelle est très prenante !
Il s’agit d’une mission ponctuelle sur trois ans dans le cadre d’un projet France 2030 - label lancé par Emmanuel Macron en 2021 pour réindustrialiser le pays - centré ici sur l’Intelligence Artificielle. Mon but est de créer des dispositifs pédagogiques autour de la sensibilisation et la formation à l’IA, afin de faire rentrer cette thématique dans les programmes scolaires de collège et lycée d’ici 2026-2027. J’ai donc trois missions principales :
- travailler sur des solutions innovantes pour apprendre l’IA efficacement en collège et lycée ;
- dialoguer régulièrement avec les enseignants pour transmettre au mieux les savoirs ;
- et entrer en contact avec des entreprises qui recrutent des opérateurs en IA afin d'identifier les compétences essentielles à acquérir.
En quittant l’ESR (Enseignement Supérieur et Recherche), j’étais triste de devoir abandonner ce qui me plaisait le plus : l’enseignement. Or, je n’ai jamais été autant en contact avec des apprenants (des élèves en atelier, et des adultes en formation) que depuis que j’exerce ce métier ! J’apprécie tout ce que je fais, car j’ai la chance de travailler dans une équipe dynamique avec une manager soucieuse de notre bien être, de telle sorte que chaque tâche devient un plaisir puisqu’elle est réalisée à plusieurs en combinant les compétences de chacun.
Le métier d’Ingénieur Pédagogique nécessite avant tout rigueur et adaptabilité : oubliez tout ce que vous croyez savoir sur la formation, puisqu’il faut vous adapter à votre public cible afin qu’il soit suffisamment réceptif et engagé envers ce que vous allez lui proposer. La rigueur est déterminante, car nous sommes sur plusieurs fronts en même temps - on ne passe pas toute la journée le nez dans les programmes scolaires - mais aussi et surtout car l’enseignement couvre plusieurs catégories d’âge. L’enseignement du numérique en particulier est extrêmement codifié. Parce que le traitement des données personnelles entre en ligne de compte, vous ne pouvez pas enseigner de la même manière à un apprenant de BTS qu’à un apprenant de collège ; en effet, ce dernier est mineur ! On ne plaisante pas sur l’enseignement primaire et secondaire, où les programmes sont définis et cadrés, tandis qu’on a plus de liberté dans l’ESR.
Il faut savoir que je ne suis pas officiellement qualifiée dans l’ingénierie pédagogique, ni dans l’intelligence artificielle ; je n’ai effectué aucune formation, ni obtenu aucun diplôme sur ces deux thématiques. Lors de mes entretiens de recrutement, il a donc fallu que je mette en avant mes expériences dans l’enseignement et la formation - j’ai enseigné durant mes 7 ans de doctorat pendant plusieurs centaines d’heures - et ma capacité à faire de la veille et à synthétiser rapidement mes nouvelles connaissances. Plusieurs heures de ma semaine sont consacrées à la veille pédagogique et technique : je me forme sans arrêt, et plus vite que la moyenne, car j’ai développé une méthodologie au cours de mon doctorat qui me permet d’agglomérer des connaissances et de les transmettre de manière efficace par la suite.
L'idée est de ne jamais consulter une ressource « juste pour voir » ou « parce qu’elle a été conseillée par untel » sans précisions supplémentaires. Le risque à force de trop lire, est de se perdre, ou de rester dans le confort de la consommation de la recherche sans produire la vôtre. Le meilleur conseil que je puisse donner est de toujours ouvrir une ressource avec une ou plusieurs pistes de réflexion à l'esprit. En d’autres termes, il s’agit de s’engager dans le processus de collecte d’informations avec une question précise en tête ; si l’on ne sait pas ce que l’on cherche, il est impossible de trouver. On remarque alors rapidement que sur ce gros livre de 700 pages, on ne lit finalement que deux ou trois chapitres, et on gagne du temps. Il est inutile de vouloir prendre des notes sur tout le livre ; ce qui est intéressant à un instant A du processus de recherche ne le sera peut-être plus à un instant B et inversement. Il est tout à fait possible, et même probable, de revenir sur une ressource plus tard et de la questionner avec un autre objet d’étude. Savoir rétrécir les notions sur lesquelles on travail est la composante essentielle d’une recherche efficace.
Le doctorat SHS : Arts du spectacle
et études cinéma
Depuis le début de mon master recherche, je souhaitais devenir professeur des universités en études cinématographiques ; le parcours doctoral était à ce titre tout indiqué et nécessaire.
J’ai eu l’appui de la personne qui dirigeait mon mémoire de maîtrise et de master, et qui s’est proposée pour co-encadrer pour doctorat, ne possédant à l’époque pas l’HDR (Habilitation à Diriger des Recherches, essentielle pour diriger une thèse). Le sujet s'est ainsi construit naturellement, comme un prolongement de mes recherches de Master.
J’ai choisi de ne pas être financée afin d'avoir toutes les libertés possibles dans l'exercice de ma recherche. C’est un choix très difficile mais que je ne regrette pas : écrire une thèse en sciences humaines et sociales pour laquelle on est financé·e c’est se heurter, au bout d’un moment, à une solitude qui peut être très pesante. Les différentes professions, bénévoles (chargée de communication, animatrice de podcasts) ou rémunérées (vidéaste…et animatrice de podcast !) que j’ai occupées m’ont permis de garder un contact avec le monde extérieur et de développer des compétences, pas nécessairement différentes de celles acquises au cours du doctorat, mais développées dans un autre contexte, face à d'autres publics. Aujourd’hui, mon bénévolat en tant que chargée de communication depuis 2019 au sein du Maudit Festival est reconnu comme une compétence professionnelle, à tel point que cette mission a intégré ma fiche de poste au CMQ IED.
Elles sont très nombreuses : gestion de projet, recherche de financements, entretien du réseau, pédagogie innovante, techniques de rédaction efficaces…Si je devais n’en retenir qu’une seule, je pourrais l’illustrer avec cette citation de Umberto Eco : La manière de travailler sur ce que l’on sait dépend toujours de la manière dont on a cherché au début ce que l’on ne savait pas. A l’image de ces artistes peintres sur les réseaux qui commencent par peindre un tableau qui ne ressemble “à rien” pour finir, après de minutieux coups de couteau, de chiffon, de pinceau à réaliser un chef d’oeuvre, #trusttheprocess, nous avons une vision d’ensemble au début du projet que nous lançons. Notre manière de chercher impacte directement nos résultats : nous pensons aux résultats, et adaptons la manière dont nous les produisons, que ce soit en lisant un article, en regardant une vidéo, en écoutant une conférence. Trust the process ;)
J’avais un objectif clair qui était de ne pas poursuivre dans la sphère académique. Je totalisais alors sept ans de carrière dans l’ESR, et j’estimais avoir fait le tour tout en nourrissant l’envie de découvrir d’autres horizons.
L'après-doctorat
J’ai pris un mois pour me reposer - et attraper le covid au passage. Je suis sortie de thèse dans un état d’épuisement très avancé qui m’imposait de prendre du repos. Fort heureusement, j’avais initié avant même la fin de ma thèse plusieurs démarches de recherche d’emploi et de recrutement, dont il m’a simplement fallu faire le suivi. La vitesse de mon recrutement est due à un mélange de chance et de nécessité : on ne vit pas décemment avec l’ARE (Allocation de Retour à l’Emploi). J’ai donc provoqué le maximum d’opportunités possibles avant même le rendu définitif de mon manuscrit afin de raccourcir au maximum cette période de transition.
J’ai passé énormément de temps à scroller sur LinkedIN et X et à entrer en contact avec d’autres personnes dans mon cas afin de recueillir leurs expériences et leurs conseils. Finalement j’ai fini par me tourner vers des ressources anglophones : aux Etats-Unis, la communauté PHD qui s’engage dans l’industrie à la suite d’un doctorat est bien plus étendue qu’en France ! C’est grâce à leurs ressources que j’ai appris à “traduire” mon CV en langage industriel. Pour faire simple, alors que la sphère académique veut des sources, la sphère industrielle, elle, veut des résultats.
En plus d'offrir une vision claire et ordonnée des compétences issues de l'expériences des docteurs, c'est également un outil de réflexion, d'auto-évaluation et de communication qui peut s'avérer très utile dans la préparation de vos entretiens de recrutement, puis dans votre mobilité professionnelle.
Tout savoir sur DocPro
A l’époque où j’ai entamé des démarches de transition (Juin 2023), les accompagnements d’insertion professionnelle des docteurs en SHS hors académique étaient très peu répandus. La plupart des prestations dispensées par des interlocuteurs publics nécessitaient d’attendre que je sois diplômée et en recherche d’emploi, ce qui était matériellement inenvisageable. J’ai donc entamé mes recherches seule, principalement par LinkedIN. Heureusement, aujourd’hui, ces accompagnements se sont développés. Je pense notamment à :
- durant le doctorat : le programme PhDream de Erika Dupont et Véronique Labeille pour mobiliser ses compétences notamment au niveau de son CV et prendre confiance en son profil SHS même si on ne continue pas dans la recherche ;
- après le doctorat : le programme R2D Booster du cabinet RD2 Conseil, spécialisée dans le recrutement des jeunes docteurs, et son programme pour valoriser ses compétences en recrutement, notamment quand on quitte le monde de la recherche.
Découvrir les accompagnements individuels ABG
Je suis toujours chercheuse associée de mon laboratoire, Litt&Arts, avec qui j’ai gardé un très bon contact. Mais pour être honnête il est difficile de rester dans la sphère académique une fois que l’on est rentré dans la sphère industrielle : les journées ne font que 24h !
Les logos des podcasts La galette et K-POTES sont des créations de @leaparechat, dont vous pouvez retrouver le travail sur Instagram !
Chaque podcast (co) animé par Hélène Godin est accessible en cliquant sur son logo.
Les conseils
Quels conseils donneriez-vous :
-
à des docteurs (particulièrement issus des sciences humaines et sociales) intéressés par le doctorat mais effrayés quant à l’après-doctorat ?
Le plus important selon moi : ne surtout pas attendre d’avoir soutenu pour commencer à chercher. Un projet de reconversion c’est comme un projet de thèse : ça se prépare sur plusieurs mois en avance, avec l’appui de personnes qui s’y connaissent. Ne restez surtout pas seul·es.
-
sur la manière de s’orienter et de « se marketer » sur le marché de l’emploi ?
Même si ce n’est pas toujours intuitif, il ne faut surtout pas hésiter à aller vers les autres et à rejoindre des réseaux professionnels, que ce soit en numérique ou en présentiel. Ecoutez des podcasts spécialisés, écoutez la parole de celles et ceux qui sont passés avant vous, et tissez des liens ! Nous sommes toujours heureux de raconter nos expériences.
-
à des docteurs curieux du métier d’ingénieur pédagogique ?
De venir me voir en message privé sur LinkedIN, bien sûr ;)
-
concernant le réseau (son importance / comment le développer / le mobiliser) ?
Le réseau est capital, que ce soit dans le secteur académique ou dans l’industrie. Si on est un peu timide ou anxieux face à cet exercice, comme je le suis moi-même, les premières expériences peuvent paraître vertigineuses, mais elles sont essentielles. Commencer petit : répondre à des commentaires sur LinkedIN par exemple, et petit à petit, communiquer soi-même sur sa propre expérience sur les réseaux. Plus on donne, plus on reçoit dans ce domaine. L’échange se fait de plus en plus naturellement ensuite.
Quant au recrutement : il est nécessaire de ne pas hésiter à postuler sur tous types de postes, même si vous ne remplissez pas 100% des critères. Je suis arrivée sur le poste que j’occupe en postulant chez un partenaire du CMQ IED AURA, qui a ensuite passé mon CV. Le réseau fonctionne réellement, c’est l’outil le plus puissant possible !
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