Changement climatique et résilience des forêts : dynamiques couplées des écosystèmes forestiers et des insectes ravageurs par une approche multidisciplinaire

Depuis 2003, les sécheresses répétées ont gravement affecté les forêts tempérées mixtes qui présentent un état sanitaire très dégradé et mettent en péril les nombreux services écosystémiques qu'elles fournissent (Patacca et al., 2023, Glob. Chang. Biol). Le stress hydrique fragilise les arbres, les rendant plus sensibles aux agents pathogènes et aux insectes ravageurs (Pörtner et al., 2022, IPCC Sixth Assessment Report). Un exemple frappant, particulièrement perçu en Franche Comté, est l’affaiblissement des peuplements d’épicéa dû aux effets couplés du manque d’eau et de la hausse des températures qui représentent dès lors un terreau fertile aux pullulations de scolytes (Coleoptera : Scolytinae). D’autres essences (e.g., sapin, hêtre, érable…) montrent désormais des signes de dépérissement, visible principalement par une altération de leur couverture végétale, mais elles semblent, pour le moment, moins soumises aux attaques d’insectes.

En France, on dénombre environ 150 espèces de scolytes. Ces insectes sous-corticaux participent au recyclage de la matière organique et ont un rôle important dans les écosystèmes forestiers. Ils ont co-évolué avec leurs hôtes dans un environnement relativement stable établissant un équilibre délicat avec leurs ennemis naturels, les arbres et les conditions environnementales (Nageleisen et al., 2010, La Santé des forêts). Cependant, toute altération d’une de ces composantes peut rompre cet équilibre, déclenchant des réactions en chaîne et aboutissant à des pullulations épisodiques. Une vingtaine d’espèces sont connues pour de telles phases éruptives et considérées comme des ravageurs (i.e., dommages économiques aux forêts de production) (Nageleisen, 2018, Rev. For. Fr.). Nous pouvons donc redouter que les changements climatiques actuels et leurs conséquences sur les peuplements forestiers accentuent la fréquence des pullulations voire même favorisent l’apparition de nouveaux insectes ravageurs. Cette hypothèse peut être explorée dans le passé par des approches rétrospectives afin de repérer sur le long terme des attaques d’insectes ravageurs et reconstituer les trajectoires écologiques des forêts qui y sont soumises (Schafstall et al., 2020, Holocene).

Mesurer la résilience des forêts face aux perturbations biotiques constitue un enjeu majeur pour la gestion durable des écosystèmes forestiers. Ainsi, afin de disposer de connaissances scientifiques solides pour établir des recommandations pratiques aux gestionnaires forestiers confrontés aux épidémies d’insectes ravageurs, il est nécessaire de documenter à plusieurs échelles spatio-temporelles les interactions entre la diversité taxonomique et fonctionnelles des scolytes et les caractéristiques environnementales des habitats forestiers dans lesquels il se développent.

Cette thèse pluridisciplinaire (i.e., écologie moléculaire, écologie des communautés, écologie du paysage, paléoécologie, écophysiologie végétale, microbiologie) et multiscalaire (i.e., temporelle et spatiale) a pour principal objectif de fournir une compréhension approfondie et intégrée des dynamiques écologiques et des impacts des insectes ravageurs sur la structure et la fonction des écosystèmes forestiers. Ce projet sera structuré autour de trois tâches distinctes, dont les deux premières se basent sur la cartographie des habitats vulnérables modélisée par les techniques des graphes paysagers (Projet FOREST’ADN 2025 – ThéMA/ChronoEnvironnement).

Tache 1 : Biodiversité des insectes ravageurs et santé des forêts

1. Identifier et cataloguer les différentes espèces d'insectes ravageurs présentes dans les forêts étudiées du massif jurassien, en mettant en lumière leur diversité taxonomique et fonctionnelle (trait de vie).

2. Caractériser les habitats favorables à ces insectes, en caractérisant les types de forêts (composition et structure c’est-à-dire mode de gestion), l’état sanitaire et la vitalité des arbres (i.e., déficit foliaire et fructification) et les conditions environnementales (i.e., nature du sol, identification et rôle des microorganismes qu’il renferme, microclimat, ombrage, quantité de bois mort) associés à leur présence et leur prolifération. Ces mesures sont actuellement récoltées au sein de placettes d’observation permanente de l’Observatoire des Forêts Comtoises via un réseau d’appareillage et de campagnes de terrain. Il s’agira ici d’étendre les protocoles et l’effort d’échantillonnage à d’autres placettes (une 20^aine) choisies au regard de la carte de vulnérabilité pré établit. 

Les résultats permettront de s’interroger sur la capacité des connectivités écologiques, mesurées par les graphes paysagers, à faciliter ou pas la dispersion des scolytes, et d’affiner les modèles grâce à des retours d’expérience terrain.

Tache 2 :  Dispersion et connectivité écologique des scolytes

Collaboration avec des chercheurs du laboratoire ThéMA

1. Evaluer la diversité et la structuration génétique des populations de différentes espèces de scolytes ayant des traits de vie contrastés en génotypant les individus échantillonnés lors de la tache 1 avec des marqueurs moléculaires microsatellites neutres. Ces données génétiques permettront d’identifier les schémas de dispersion des différentes espèces et d’aider à prédire quelles populations pourraient être plus à risque.

2. Construire des graphes génétiques et paysagers à l'aide du package R graph4lg (Savary et al., 2021, Methods Ecol. Evol.) afin d'analyser les relations spatiales et statistiques entre la structure génétique des populations, les schémas de dispersion, et les caractéristiques du paysage (Savary et al., 2021, Mol. Ecol. Resour.).

L’ensemble de ces données serviront à évaluer l'impact de la connectivité écologique sur la diversité génétique et la dispersion des populations de scolytes, ainsi que de créer des cartes de risque identifiant les zones les plus vulnérables. Ces cartes pourront guider les efforts de gestion et de surveillance, permettant une intervention précoce dans les zones à haut risque.

Tache 3 :  Résilience des forêts

Collaboration avec Carole Bégeot (Palynologue) et Amedea perfumo (paleo geneticienne) (Chrono-environnement), Nick Schafstall (Nature Research Centre, Lituanie) et le soutien technique de la plateforme ADN sédimentaire

1. Retracer sur le long terme l’évolution des peuplements forestiers grâce à l’analyse du contenu pollinique de couches sédimentaires lacustres et palustres afin d’identifier les transformations qui ont affecté la composition et la densité des forêts avec un focus particulier sur les périodes historiques de sécheresse relevées dans la littérature (Garnier, 2019, Drought : Science and Policy).

2. Identifier les communautés d’insectes fossiles dans les mêmes sédiments grâce à des analyses moléculaires en recherchant prioritairement les séquences ADN ancien des scolytes identifiés dans la tache 1 avec des amorces spécifiques. Cette approche innovante est en cours de développement dans le cadre des projets Typopast (ZAAJ) et PIPAF (Chrysalide).

L’analyse couplée des communautés de ravageurs passées avec celle des dynamiques forestières permettra d’évaluer la vulnérabilité et la capacité de récupération des forêts après des attaques d’insectes. 

Université Marie et Louis Pasteur à BESANCON

Laboratoire CHRONO-ENVIRONNEMENT

- connaissances et compétences requises

• Ecologie générale, forestière et évolutive
• Entomologie forestière Systématique
• Techniques d’échantillonnage (protocoles, piégeage…)
• Notions en paléoécologie
• Biologie moléculaire et technique moléculaire (extraction ADN, PCR, …)
• Géomatique et en utilisation des SIG
• Biostatistiques
• Veille scientifiques et technologiques à l’échelle internationale
• Maitrise de l’anglais
• Capacités rédactionnelles et organisationnelles